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Oct 22 2021 Mis à jour Nov 08 2021

Les dividendes de la déforestation

Des banques mondiales profitent de la destruction des forêts tropicales et des atteintes aux droits humains

  • La destruction des forêts tropicales de la planète alimente l’urgence climatique mondiale, avec un coût dévastateur pour les communautés forestières qui en dépendent et les défendent.  À travers leur soutien à des entreprises agro-industrielles, les institutions financières encouragent cette destruction et en tirent profit.
  • Une enquête de Global Witness révèle que depuis la signature de l’Accord de Paris sur le climat, des banques et des sociétés de gestion d’actifs basées dans l’Union Européenne, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Chine ont conclu des accords financiers valant 157 milliards de dollars avec des entreprises accusées de détruire la forêt tropicale au Brésil, en Asie du Sud-Est et en Afrique.
  • Ces institutions financières ont dégagé 1,74 milliard de dollars sous forme d’intérêts, de dividendes et d’honoraires en soutenant des divisions de groupes agro-industriels associées au risque de déforestation le plus élevé – essentiellement dans les filières du soja, de la viande bovine, de l’huile de palme et des pâtes et papiers – d’après les estimations de Global Witness.
  • Alors que les gouvernements, les actionnaires et le public commencent à considérer comme illégitimes les revenus générés aux dépens de l’environnement et du respect des droits humains, ces montants vertigineux pourraient s’avérer risqués pour les banques. L’une d’elles a d’ores et déjà restitué les revenus qu’elle avait dégagés d’un accord douteux.
  • Parmi les géants de la finance qui ont à maintes reprises profité de ce type d’accords figurent HSBC, Deutsche Bank, JPMorgan, BNP Paribas, Rabobank et Bank of China.
  • La banque américaine JPMorgan a conclu des accords estimés à quelque 9,38 milliards de dollars avec des sociétés accusées de déforestation. D’après notre analyse, cela en fait le plus important établissement de prêt auprès des acteurs de la déforestation parmi les investisseurs basés aux États-Unis, dans l’UE, au Royaume-Uni et en Chine.
  • L’échec des engagements volontaires et le manque de redevabilité sont au cœur de cette problématique, permettant aux banques de constamment conclure des accords douteux. Les communautés et les ONG mettent actuellement à l’épreuve de nouvelles règles pour exiger des établissements financiers qu’ils rendent compte de leurs actes. Cependant, il est primordial que les gouvernements des principaux centres financiers, dont ceux de l’UE, du Royaume-Uni, des États-Unis et de la Chine, règlementent de manière appropriée les institutions financières et les entreprises afin qu’elles cessent de se rendre complices de la déforestation et qu’elles ne puissent plus en dégager des revenus.
Une enquête de Global Witness

Les dividendes de la déforestation

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Les forêts tropicales jouent un rôle crucial dans la régulation du climat et le stockage du carbone, mais des zones intactes comme celle-ci, dans l’État de l’Acre, au Brésil, sont en train de disparaître rapidement. Lalo de Almeida/Panos/Global Witness

La disparition des forêts tropicales a des conséquences dramatiques sur le climat, pour les communautés dont les moyens de subsistance dépendent de ces forêts, et pour la biodiversité. La demande de terres pour produire de l’huile de palme, du soja, du caoutchouc, de la viande bovine et du cuir en Amazonie, en Asie du Sud-Est et en Afrique centrale a contribué à la perte de forêts tropicales d’une superficie estimée à 23 millions d’hectares entre 2016 et 2020 – soit près de la taille du Royaume-Uni.

Qui profite de la destruction de ces écosystèmes essentiels pour le climat ? Et à combien les revenus se montent-ils très exactement ? Un rapport de Global Witness publié en 2019 indiquait que sur une période de six années, plus de 300 banques et acteurs financiers avaient apporté un appui de 44 milliards de dollars à six des principaux responsables mondiaux de la déforestation. Notre dernière enquête révèle l’ampleur considérable des revenus que des banques comme HSBC, BNP Paribas et JPMorgan Chase & Co (JPMorgan) auraient pu retirer d’accords associés à un risque de déforestation.

De vastes étendues de terrain

L’accès au financement joue un rôle crucial en permettant aux entreprises du secteur agro-industriel de continuer de détruire les forêts de la planète. Sans cet appui financier, elles seraient incapables d’acquérir de vastes terrains ou les outils nécessaires à l’élevage ou à la culture. Les négociants ne pourraient pas acheter et vendre leurs produits ou les expédier à l’étranger. Si de nombreuses banques ont fait des efforts pour redorer leur blason écologique, seule la manière dont elles décident d’utiliser leur argent permet de cerner le sérieux de leur engagement. À l’heure actuelle, les répercussions auxquelles s’exposent les banques qui prêtent de l’argent et investissent dans des entreprises accusées de déforestation sont minimes.

Un point critique a été atteint en matière de redevabilité du secteur financier mondial. En effet, en 2020, le Parlement européen a réclamé l’adoption d’une nouvelle législation sur la diligence raisonnée dans le domaine de la déforestation s’appliquant aux acteurs financiers ainsi qu’aux chaînes d’approvisionnement des entreprises agro-industrielles. Au Royaume-Uni, des députés de tous bords ont appuyé des appels à l’adoption d’une réglementation des chaînes d’approvisionnement similaire devant couvrir les acteurs financiers, faisant ainsi écho aux recommandations du groupe de travail désigné par le gouvernement, Global Resource Initiative. En Chine, la révision des lois régissant le secteur des banques commerciales est vue comme donnant l’occasion de renforcer les mesures de protection des forêts. Aux États-Unis, le projet de loi remarqué contre l’irresponsabilité environnementale et climatique, Targeting Environmental and Climate Recklessness Act (TECRA), dont l’objectif est avant tout d’encourager un débat, limiterait l’accès des auteurs d’atteintes environnementales au système financier américain, comme cela est déjà le cas pour les entreprises accusées de cybercriminalité, d’atteintes aux droits humains, de corruption et de trafic d’espèces sauvages.

Un secteur à haut risque

Plus de deux tiers des forêts tropicales déboisées pour faire place à des pâturages ou à des cultures sont convertis illégalement, un processus facilité par la corruption ou l’application inadéquate des législations locales, d’après une étude réalisée en mai 2021 par Forest Trends. Les entreprises agro-industrielles constituent également un secteur à haut risque au vu de leurs liens avec des meurtres de défenseurs des droits fonciers et environnementaux et des atteintes flagrantes aux droits des populations autochtones. En outre, les experts en biodiversité et en maladies virales soulignent que la destruction des forêts est un facteur de risque pour de futures pandémies. Des accords continuent pourtant d’être conclus avec des entreprises agro-industrielles impliquées dans la déforestation à un rythme soutenu. Ce non-respect manifeste de la diligence raisonnée suggère que les banques n’effectuent pas les contrôles appropriés ou qu’elles financent en toute connaissance de cause des entreprises qui soutiennent la déforestation.
Une jeune fille franchit un arbre calciné, dans la partie méridionale de l’État amazonien du Pará, au Brésil, où l’élevage de bétail entraîne une hausse considérable des niveaux de déforestation. Dado Galdieri/Bloomberg via Getty Images

Un risque croissant

Alors que les gouvernements commencent à considérer comme illégitimes les revenus dégagés aux dépens de l’environnement et du respect des droits humains, ces montants vertigineux pourraient s’avérer risqués pour les banques. En 2020, vraisemblablement pour la première fois, une banque a convenu de restituer les revenus qu’elle avait dégagés d’un accord problématique. La banque australienne ANZ a ainsi déclaré qu’elle verserait aux victimes d’accaparement de leurs terres les revenus qu’elle avait retirés d’un prêt de quelque 40 millions de dollars accordé à une entreprise sucrière neuf ans auparavant. Des centaines de familles d’agriculteurs cambodgiennes avaient fait valoir que ce prêt avait contribué aux expulsions forcées commises par l’entreprise sucrière, aux saisies de terres perpétrées avec le soutien de l’armée, à la destruction de biens et au recours de l’entreprise au travail des enfants. Nous nous rapprochons certainement d’un point de non-retour en matière de responsabilité financière.

Le présent rapport chiffre pour la première fois le montant que les banques et les acteurs financiers du Royaume-Uni, de l’UE, des États-Unis et de la Chine auraient pu dégager d’accords passés avec certaines des entreprises agro-industrielles mondiales les plus notoires associées à la destruction des forêts.

Notre travail a d’abord consisté à analyser une liste publique de plus de 300 entreprises impliquées dans les chaînes d’approvisionnement des filières de la viande bovine, du soja, de l’huile de palme, des pâtes et papiers, du caoutchouc et du bois d’œuvre. D’après Forests and Finance, une base de données gérée par une coalition d’organisations militantes, chacune des entreprises de cette liste est active dans une filière – par exemple l’huile de palme – qui a un impact sur les forêts tropicales naturelles et les communautés qui en sont tributaires en Asie du Sud-Est, en Afrique centrale et de l’Ouest, et dans certaines zones de l’Amérique du Sud.

Parmi cette liste, Global Witness n’a choisi que vingt des entreprises les plus dangereuses et les mieux établies en fonction, premièrement, de la qualité et de la disponibilité des preuves relatives à de précédentes allégations de déforestation faites à leur encontre et, deuxièmement, de l’ampleur du financement reçu sur une période de cinq années.[1] Nous avons chargé Profundo, société néerlandaise d’analyse financière à but non lucratif, de nous fournir des données sur plus de 70 000 accords conclus entre ces 20 entreprises agro-industrielles et tous les acteurs financiers dont le siège se trouve dans l’UE, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en Chine entre 2016 et 2020. Les rapports d’entreprises et les bases de données financières ont permis de connaître le détail des prêts, des facilités de crédit, des services de garantie et des investissements dans des actions et obligations mis à la disposition de ces entreprises. En nous appuyant sur les meilleures données disponibles, nous avons élaboré une méthodologie afin d’estimer les recettes que les banques et les acteurs de la finance auraient pu dégager de ces accords (voir « Méthodologie » pour de plus amples renseignements).

D’après nos estimations, entre 2016 et 2020, chaque entreprise agro-industrielle de notre liste a permis aux banques et autres acteurs financiers de dégager entre un et 318 millions de dollars au titre d’intérêts, d’honoraires et de dividendes pondérés pour tenir compte de la déforestation. Ces entreprises vont du Groupe Noble, négociant en matières premières basé à Hongkong, qui jusqu’en 2019 détenait des investissements controversés dans l’huile de palme, jusqu’au géant du soja, SLC Agricola, accusé d’avoir déboisé 30 000 hectares de forêt et de végétation naturelle au Cerrado brésilien entre 2011 et 2017. Chaque accord de financement passé avec une entreprise agro-industrielle aurait dû alerter les équipes d’inspection de la conformité des banques chargées des recherches et vérifications quant aux activités de déforestation et aux atteintes aux droits humains connexes.

Des employés de Deutsche Bank. Ces cinq dernières années, la banque a appuyé à hauteur de 4,5 milliards de dollars des entreprises comptant parmi les principaux acteurs mondiaux de la déforestation. Deutsche Bank, avril 2020

Investissements réalisés par des mandataires : qui en bénéficie ?

Les banques et les acteurs financiers détiennent souvent des obligations et des actions pour le compte d’investisseurs tiers, ainsi que pour leur propre compte. En règle générale, la banque ou le gestionnaire d’actifs retire un bénéfice de cette transaction, percevant un pourcentage de la valeur investie ou des honoraires. La banque ne conserve toutefois pas l’intégralité de ces revenus – une partie des revenus associés à ce type d’accords est versée au propriétaire ultime des actions et obligations, et non à la banque. Néanmoins, le fait de détenir des actions d’une entreprise sujette à controverse pour le compte d’un tiers ne dispense pas entièrement la banque de ses responsabilités en matière de risques éthiques. En août 2021, le bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU (HCDH) a publié un avis juridique indiquant qu’en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les institutions financières restaient responsables en cas d’atteinte commise par des entreprises dont elles sont des actionnaires mandataires.

Engagements climatiques

Si ce rapport annonce des montants d’investissement totaux tels qu’ils apparaissent dans les bases de données financières publiques, nous avons ajusté à la baisse les revenus dégagés de ces accords pour tenir compte uniquement de la part de son activité que chaque entreprise agro-industrielle consacre spécifiquement au commerce ou à la production de viande bovine, d’huile de palme, de pâtes et papiers, de soja et de caoutchouc. Les proportions pertinentes sont tirées d’estimations – appelées « facteurs d’ajustement segmentaires » – communiquées par Forests and Finance. Ces proportions indiquent la mesure dans laquelle on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un investissement donné ait financé la production ou la vente d’un produit associé à un risque de déforestation. De même, ces facteurs d’ajustement segmentaires nous permettent d’estimer la part des dividendes, des intérêts et des honoraires dégagée au détriment des forêts et des communautés forestières.

Bien que les préjudices causés par la déforestation dépassent largement les revenus qui en sont dégagés, ce chiffre est essentiel pour comprendre l’ampleur de la dette du secteur financier à l’endroit des communautés forestières à travers le monde. Les engagements climatiques des banques doivent être appréciés en tenant compte de ce qui advient des revenus tirés d’accords qui n’auraient jamais dû être conclus. Tant que les banques continueront d’accumuler et de s’approprier ces gains illégitimes, leur contribution à la destruction des forêts les exposera à des réactions hostiles.

Notre analyse suggère que, d’après nos estimations, les établissements financiers ont dégagé des revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation de 1,74 milliard de dollars en concluant des accords avec certains des acteurs les plus destructeurs en matière de déforestation dans les cinq années qui ont suivi l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015. Nous estimons à 157 milliards de dollars la valeur totale des accords avec ces responsables de la déforestation. Depuis 2016, des acteurs financiers basés dans les 27 pays de l’Union européenne ont dégagé, d’après les estimations, des revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation de 455 millions de dollars (401 millions d’euros) à partir de marchés représentant au total quelque 34,7 milliards de dollars passés auprès des principaux acteurs de la déforestation. Dans l’UE, ce type de contrats a surtout été conclu par des grandes banques basées aux Pays-Bas, en France, en Espagne, en Allemagne et en Italie.

Quant aux banques et acteurs financiers britanniques, ils ont mis à disposition un montant estimé à 16,6 milliards de dollars, dégageant ainsi de leurs prêts associés à un risque de déforestation un profit estimé à 192 millions de dollars (147 millions de livres sterling). Le Royaume-Uni est le troisième plus important pays du monde à consentir des investissements aux 20 entreprises responsables de déforestation que nous avons analysées, derrière la Chine et les États-Unis.

Les établissements financiers basés dans des régions européennes, y compris dans les pays de l’UE et au Royaume-Uni, ont dégagé de leurs investissements dans les principales entreprises responsables de la déforestation des revenus qui dépassent ceux des États-Unis et de la Chine. Au total, leurs revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation se montent à 646 millions de dollars. Nos données sont antérieures au retrait du Royaume-Uni de l’UE.

Créanciers forestiers par région

Estimation du montant de financement, du nombre d’accords et des recettes pondérées pour tenir compte de la déforestation provenant d’entreprises agro-industrielles associées à un risque de déforestation, détaillée par établissement financier et par région.
Les chiffres de ce graphique sont des estimations données à titre indicatif car il est impossible de savoir si et dans quelles proportions un financement a directement servi à financer la déforestation, et dans quelle mesure ces accords ont été lucratifs. En publiant les données ci-dessus, nous n’affirmons aucunement que toutes les banques nommées financent en toute connaissance de cause la destruction des forêts tropicales ou sont coupables d’un quelconque acte répréhensible.
Nous avons écrit aux établissements financiers dont nous estimons qu’ils ont dégagé plus de 20 millions de dollars de revenus associés à un risque de déforestation (2016-2020). Leurs réponses peuvent être consultées dans l’annexe du présent rapport.

Nous estimons que des acteurs financiers chinois ont généré sur la même période 554 millions de dollars de revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation, et ces transactions sont dominées par de grandes banques commerciales. Aux États-Unis, le financement de la déforestation est plus dispersé parmi les petits investisseurs, tandis que les gestionnaires d’actifs de plus grande envergure comme BlackRock jouent un rôle plus important. D’après les estimations, les institutions financières américaines ont ainsi encaissé 538 millions de dollars. Tous les montants des recettes par région ont été revus à la baisse pour tenir compte de la part des investissements susceptible d’avoir été destinée à des produits associés à un risque de déforestation.

Blackrock a déclaré à Global Witness avoir mené « pendant plusieurs années des discussions approfondies avec JBS », l’entreprise brésilienne de conditionnement de viande dont elle est un actionnaire minoritaire, au sujet de ses processus de gestion des risques et de ses engagements en faveur de chaînes d’approvisionnement zéro déforestation. Le gestionnaire d’actifs a précisé qu’il n’accordait pas de financement direct ou de facilités de prêt à des entreprises individuelles et qu’il ne contrôlait pas le processus décisionnaire stratégique des entreprises dont il était un actionnaire minoritaire. La société a en outre déclaré que 90 % de ses investissements sur fonds propres se faisaient par l’intermédiaire de fonds indiciels ou de fonds négociés en bourse au titre desquels les clients choisissent eux-mêmes la répartition de leurs actifs. 

Des promesses non tenues

Nous concentrons nos recherches sur HSBC, BNP Paribas, Deutsche Bank, Rabobank, JPMorgan et Bank of China, six banques de premier plan responsables d’avoir conclu plus de 5 000 des 71 000 accords examinés. Ces banques semblent faire partie des principaux acteurs du financement de la déforestation dans les pays auxquels nous nous sommes intéressés et sont des enseignes bien connues des populations de ces régions.

Nos données suggèrent que la conclusion d’accords avec les responsables de la déforestation se poursuit à un rythme soutenu depuis le début de 2016, et ce, alors que la plupart de ces banques affirment aligner leurs investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et évaluer leurs clients afin de réduire les impacts sur les forêts et la biodiversité. Cela montre que les politiques volontaires ne fonctionnent pas et que les gouvernements doivent impérativement agir pour réduire le financement de la destruction des forêts avant qu’il ne soit trop tard.

Fréquence des financements et des investissements impliquant les banques sélectionnées et les principaux responsables de la déforestation (2016-2020)

Chaque ligne représente un contrat passé

2016
2017
2018
2019
2020
HSBC
BNP Paribas
Rabobank
Deutsche Bank
Bank of China
JPMorgan
Fréquence des accords conclus (prêts, facilités de crédit, participations) entre les six banques visées par le présent rapport et les principaux responsables de la déforestation. Certaines données 2020 étaient indisponibles au moment où ce tableau était en cours de préparation.
Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)19
Valeurs des contrats$6.85 milliard
Revenus estimés$36.4 million
Relation la plus lucrativeOlam International

La banque britannique HSBC est le premier des acteurs britanniques à soutenir le secteur agro-industriel destructeur forestier, et la deuxième banque privée au classement des principaux responsables ressortant de la série de données de Global Witness, derrière JPMorgan, d’après notre analyse des transactions réalisées sur les cinq dernières années. HSBC a passé des contrats avec les pires acteurs de la déforestation au monde, à une valeur estimée de 6,85 milliards de dollars – et a probablement généré quelque 36,4 millions de dollars de revenus grâce aux activités de ses clients associées à un risque de déforestation, plus que tout autre établissement financier britannique.

HSBC, dont le slogan est ‘Nous réussissons ensemble’, s’est engagée publiquement en 2017 à cesser de financer les entreprises accusées de déforestation. Elle a annoncé qu’elle ferait passer à zéro les émissions de carbone issues de son portefeuille de clients d’ici 2050 et a été désignée « Meilleure banque en matière de financement durable au monde » par la revue spécialisée Euromoney. Mais la réalité des pratiques commerciales de HSBC est loin de ces nobles déclarations. Ses investissements représentent plus de la moitié des fonds britanniques accordés à la déforestation que Global Witness a analysés. Quant au total des revenus que HSBC aurait perçus, d’après les estimations, 20,2 millions de dollars ont été générés dans les années qui ont suivi son engagement en faveur de la lutte contre la déforestation. Cela illustre parfaitement bien que les politiques et engagements volontaires échouent à protéger les forêts tropicales.

Jardine Matheson : un pilier de l’establishment

L’une des relations financières lucratives de HSBC qui ressort de nos données est celle qu’elle entretient avec l’empire commercial Jardine Matheson, société enregistrée à Londres, à Singapour et aux Bermudes. Contrôlée par la famille écossaise Keswick, il s’agit du propriétaire ultime de la chaîne d’hôtels de luxe Mandarin Oriental, et elle compterait parmi ses anciens employés l’ex-Premier ministre britannique David Cameron. Ses anciens directeurs, Sir Henry Keswick et Simon Keswick, sont d’importants donateurs du parti conservateur britannique.

Le groupe est l’un des propriétaires du conglomérat indonésien PT Astra International TBK, qui cultive et transforme les palmiers à huile par le biais de sa filiale Astra Agro Lestari (Astra) – et dont le passé est loin d’être reluisant. Astra a été vivement critiquée car elle serait responsable de déforestation en Indonésie, pays où environ un million d’hectares de forêts tropicales sont abattues chaque année. D’après les estimations, depuis 2016, des filiales appartenant à Jardine Matheson ont versé à HSBC 26,8 millions de dollars sous forme d’intérêts, d’honoraires et de dividendes en échange de crédits aux entreprises, de lignes de crédit renouvelable et d’achats de participations. Une fois ce montant revu à la baisse pour prendre en compte la part de l’activité de Jardine Matheson axée sur l’huile de palme, les revenus de HSBC issus d’accords passés avec cette entreprise sont estimés à 4,09 millions de dollars. Ces accords n’auraient jamais dû être conclus, quelle que soit la part de l’activité globale de Jardine Matheson dédiée à l’huile de palme.

Tout s’enflamme

Les antécédents de l’entreprise sont choquants. En 2016, environ 300 hectares de forêt ont été abattus dans deux plantations de palmiers à huile gérées par Astra en coopération avec des concessionnaires, d’après des images satellitaires analysées par l’ONG néerlandaise Aidenvironment. Jardine a déclaré qu’aucune forêt à haute valeur de conservation (« High Conservation Value ») ou disposant de stocks de carbone élevés (« High Carbon Stock ») n’avait été abattue sur les plantations de palmiers à huile gérées par Astra depuis 2015. Elle a aussi précisé avoir mis fin à des pourparlers visant l’acquisition de ces deux plantations en 2017.

Aidenvironment a également accusé Astra d’employer des techniques de prévention et d’atténuation des incendies inadaptées ; l’ONG a en effet procédé à une évaluation des causes des feux de forêt ravageurs qui ont frappé l’Indonésie. D’après une étude réalisée par des universitaires de Harvard, ces incendies, qui se sont déclarés à travers le pays, ont fait environ 100 000 morts. Le rapport d’Aidenvironment a identifié 677 « points chauds » en termes de risque d’incendie sur les concessions foncières d’Astra en Indonésie de juillet à octobre 2015. Jardine a contesté ce nombre, affirmant qu’il n’y en avait eu que 164, et a expliqué disposer de protocoles rigoureux pour prévenir et atténuer les incendies et faire tout le nécessaire pour les maîtriser.

HSBC aurait dû prendre des mesures après une série d’allégations selon lesquelles Astra aurait causé un préjudice aux communautés autochtones indonésiennes – qui représentent environ un quart de la population du pays. La communauté Orang Rimba de Jambi, dans la province de Sumatra, a vu ses moyens de subsistance perturbés par l’expansion de PT Sari Aditya Loka 1, une plantation qui appartient à Astra, sur ce qu’elle estime être ses terres ancestrales. Jardine a répondu que cette allégation était sans fondement.

D’après nos estimations, l’une des relations financières les plus lucratives qu’entretienne HSBC avec des entreprises responsables de défdéforestation concerne l’empire commercial Jardine Matheson. GOH CHAI HIN/AFP via Getty Images

Komunitas Konservasi Indonesia, une ONG qui œuvre auprès des Orang Rimba depuis plus de deux décennies, a estimé en 2017 qu’au moins 750 membres de cette communauté vivaient dans des campements dans une zone de plantations appartenant in fine à Jardine.

« Avant, on vivait mieux »

« Avant [que l’entreprise n’abatte la forêt], on vivait mieux », a déclaré Maliau, une femme âgée de la communauté Orang Rimba, mère de neuf enfants, à Human Rights Watch en 2018. « Les femmes arrivaient à trouver toutes sortes d’aliments. Certaines tissaient des nattes avec des feuilles et confectionnaient des paniers. On fabriquait des lampes avec de la gomme-résine. Maintenant on ne trouve plus les matériaux pour faire tout cela. »

Astra a répondu à ces allégations en donnant des détails sur le soutien qu’elle apporte aux groupes Orang Rimba dans les domaines éducatif, sanitaire et économique.

Global Witness estime que HSBC aurait pu générer quelque 629 000 dollars en accordant à Jardine des lignes de crédit renouvelable et des actions en 2019 et 2020 après que ces allégations avaient été faites.

Aussi récemment qu’en 2020, des membres de la communauté Orang Rimba ont accusé des agents de la sécurité de la plantation Sari Aditya Loka de Jardine de les avoir passés à tabac alors qu’ils cueillaient des fruits des palmiers à huile pour se nourrir, d’après des entretiens menés par Survival, l’organisation de défense des droits des peuples autochtones. La communauté affirme que la plantation a été aménagée sur ses terres ancestrales, ce que nie Jardine. La dépendance des Orang Rimba aux fruits du palmier à huile s’est intensifiée depuis que le coronavirus a provoqué la fermeture des marchés sur lesquels ils avaient l’habitude de vendre de la viande de sanglier sauvage.

Jardine a déclaré à Global Witness qu’Astra avait enquêté sur ces allégations et en avait conclu qu’elles étaient sans fondement. Les communautés Orang Rimba étaient traitées avec un profond respect, a précisé un porte-parole du groupe, ajoutant que toutes les parties impliquées avaient reconnu que les passages à tabac que les agents de la sécurité auraient commis étaient un malentendu, et qu’un processus de réconciliation avait eu lieu.

La société a déclaré : « AAL n’a été responsable d’aucun acte de déforestation depuis l’introduction de sa politique Durabilité en 2015, il est donc exclu que la société tire profit de la déforestation. Qui plus est, les activités d’AAL sont soumises aux législations indonésiennes, auxquelles la société se conforme intégralement. (…) Les pratiques commerciales du groupe Jardine Matheson sont conformes aux normes exigées par les politiques rigoureuses régissant les prêts accordés par HSBC et ses autres créanciers. »

La politique de HSBC sur les matières premières agricoles (« Agricultural Commodities Policy ») précise que la banque ne fournira pas de services financiers aux clients impliqués directement ou qui s’approvisionnent auprès de fournisseurs impliqués dans des opérations illégales, des actes de déforestation commis dans des zones à haute valeur de conservation et des actes d’exploitation des populations ou des communautés.

HSBC précise : « Si des clients ne cherchent pas à résoudre des griefs crédibles, ne reconnaissent pas les préoccupations de HSBC ou continuent d’opérer d’une manière qui est contraire à nos politiques régissant le risque en matière de durabilité, nous mettrons un terme à nos relations. »

La banque a ajouté que le nombre de clients du secteur de l’huile de palme auxquels elle fournissait des services bancaires avait diminué de plus de moitié depuis 2014.

L’île indonésienne de Sumatra est le seul lieu où des tigres, des rhinocéros, des orangs-outans et des éléphants vivent ensemble en liberté, d’après le WWF. Sandy Brooks / Getty

JBS, Marfrig et Minerva

À l’autre bout du monde, des géants de la filière bovine complices de la destruction de vastes étendues de forêts tropicales ont aussi aidé HSBC à se remplir les poches. Global Witness a précédemment démontré que les entreprises agro-industrielles brésiliennes JBS, Marfrig et Minerva étaient liées à des dizaines de milliers d’hectares de déforestation dans l’État du Pará, dans l’Amazonie brésilienne, des centaines d’exploitations agricoles auprès desquelles ces sociétés s’approvisionnent étant directement impliquées dans le défrichement illégal de forêts.

JBS a déclaré à l’époque que l’analyse de Global Witness était incorrecte car elle s’appuyait sur des outils de suivi que la société elle-même n’était pas en mesure d’utiliser et qui étaient différents de ceux employés par la politique de surveillance nationale brésilienne. Minerva et Marfrig ont également contesté les conclusions de Global Witness. Depuis 2016, l’appui financier apporté aux activités de négoce et de production de viande bovine de ces trois entreprises aurait permis de réaliser quelque 5,1 millions de dollars. Ces revenus sont principalement des honoraires perçus pour la garantie d’émissions obligataires, autrement dit lorsqu’une banque accorde une garantie à une société à la recherche de financements sur les marchés obligataires internationaux.

Ces relations avec les entreprises brésiliennes de production de viande bovine semblent être contraires à la politique de HSBC sur les matières premières agricoles, qui stipule qu’elle ne fournira en toute connaissance de cause aucun service financier à des clients responsables de déforestation, ou qui s’approvisionnent auprès de fournisseurs dont c’est le cas.

HSBC a déclaré à Global Witness qu’elle reconnaissait que le fait d’exiger des fournisseurs indirects de ses clients qu’ils remplissent les exigences relatives à la déforestation et aux droits humains offrirait la meilleure protection, mais que des lacunes au niveau de la traçabilité rendraient cela difficile. La banque a ajouté qu’elle se rapprochait de ses clients pour promouvoir la durabilité et qu’elle mettait un terme à ses relations si des préoccupations étaient ignorées.

Depuis 2016, HSBC a été impliquée dans des accords d’un montant estimé à 6,85 milliards de dollars avec les principales entreprises responsables de la déforestation © Bloomberg / Contributor via Getty

Un rapport fuité

D’autres éléments indiquent que les déclarations publiques de la banque ne se traduisent pas dans les faits par l’adoption de mesures pour contrer l’urgence climatique. Ainsi, l’année dernière, des analystes de HSBC se sont penchés sur les mauvaises pratiques de l’entreprise brésilienne de conditionnement de viande JBS en matière de déforestation, d’après un rapport de recherche obtenu par le Bureau of Investigative Journalism. Des études réalisées par la banque en août 2020 soulignaient que JBS aurait fait transiter du bétail depuis une ferme accusée de déforestation illégale dans la forêt tropicale brésilienne jusqu’à une exploitation dans laquelle la déforestation était indécelable. Malgré cela, le rapport de HSBC avisait les investisseurs d’acquérir des parts dans JBS. D’après les estimations, en 2020, HSBC a réalisé des dividendes pondérés pour tenir compte de la déforestation se montant à 47 000 dollars à partir de participations dans l’activité bovine du producteur de viande s’élevant à 2,62 millions de dollars, comme le suggère une analyse de Global Witness.

Global Witness avait précédemment découvert que HSBC avait garanti des obligations représentant près d’un milliard de dollars pour le spécialiste du conditionnement de viande bovine Minerva entre 2013 et 2017, période durant laquelle la société n’avait pas assuré de suivi de ses fournisseurs de viande bovine afin d’identifier un éventuel risque de déforestation. Si sa politique 2017 sur les matières premières agricoles précisait que les nouveaux clients du secteur de l’huile de palme devaient accepter d’être désignés par HSBC en tant que clients, ce document n’a pas étendu cet engagement à d’autres produits associés à un risque de déforestation tels que la viande bovine. HSBC n’a toujours pas ajouté cette exigence à sa politique de durabilité.

En 2020, HSBC a déclaré à Global Witness qu’elle ne pouvait émettre de commentaires concernant des entreprises spécifiques du secteur de la viande bovine. HSBC a déjà été montrée du doigt par l’ONG BankTrack pour son invocation fréquente de la « confidentialité des clients » qui l’empêcherait de s’attarder sur les préoccupations suscitées par ses activités de financement.

HSBC a précisé à Global Witness que ses relations avec la plupart des entreprises agro-industrielles étaient sans lien avec l’exploitation forestière, l’huile de palme ou l’élevage de bétail, ou que ses relations avaient pris fin ou étaient en passe de se terminer. La banque a déclaré que dans certains cas, elle n’entretenait que des relations indirectes avec les entreprises agro-industrielles en tant que gestionnaire nominal de leurs parts pour le compte d’un client, si bien qu’elle ne détenait aucune participation effective dans l’entreprise agro-industrielle sous-jacente et n’exerçait pas d’influence directe sur celle-ci.

HSBC a affirmé que sa gestion d’actifs pour le compte d’autres institutions financières impliquait d’investir dans des indices, dont la composition ne pouvait être modifiée. Sa politique relative à la durabilité de la gestion d’actifs pour la biodiversité comporte un engagement visant à encourager les entreprises dans lesquelles elle investit à gérer les forêts de manière durable et à exclure les entreprises de ses investissements lorsque les objectifs de biodiversité ne sont pas remplis. La banque a précisé que dans certains cas, son nom apparaissait dans le registre des participations de la société car elle en avait la garde, et non parce qu’elle en était propriétaire.

D’après nos estimations, HSBC serait certes le plus important financier britannique des entreprises agro-industrielles destructrices, mais elle est loin d’être seule.

Barclays, Standard Chartered et NatWest qui, en termes de niveau d’investissements, se situent juste derrière HSBC dans le classement des banques britanniques que nous avons relevées dans nos données, ont apporté à ces entreprises agro-industrielles un financement se montant respectivement, d’après les estimations, à 3,66 milliards de dollars, 2,94 milliards de dollars et 568 millions de dollars. Le cabinet de gestion de placements Schroders et le fonds de retraite Prudential comptent également parmi les établissements montrés du doigt. Leurs réactions à notre rapport peuvent être consultées dans l’annexe.

Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)19
Valeurs des contrats$5.71 milliard
Revenus estimés$37.3 million
Relation la plus lucrativeCargill

La première banque française est ressortie relativement indemne de la pandémie de Covid en 2021, ayant accru le montant des prêts accordés à des entreprises frappées par la crise et assis son statut de premier établissement de prêt de la zone euro. Autrefois considérée comme la banque incontestée de la classe dirigeante française, BNP Paribas aurait aujourd’hui des aspirations plus mondiales, cherchant à « devenir la force dominante de la banque d’investissement européenne …. et [à affronter] les poids lourds de Wall Street », d’après le Financial Times.

Parallèlement à sa réussite commerciale, la banque a tenté début 2021 de redorer son blason écologique en adhérant à la Net Zero Banking Alliance. Elle a aussi annoncé l’adoption d’une nouvelle politique pour réduire son impact sur les forêts de l’Amazonie et du Cerrado, même si les environnementalistes français ont critiqué cette politique, estimant qu’elle manquait d’ambition en ne cherchant pas à atteindre le niveau « zéro déforestation » d’ici 2025.

Mais, ces dernières années, les caisses de la banque ont été alimentées par des revenus dégagés auprès de clients du secteur agro-industriel accusés de déforestation et d’accaparement de terres dans certains des écosystèmes les plus menacés de la planète. L’analyse de Global Witness suggère ainsi que la banque aurait pu dégager plus de 37,3 millions de dollars revenus issus de marchés conclus depuis 2016 avec des entreprises agro-industrielles responsables de la déforestation. Ce chiffre montre le lien qui existe entre les revenus susceptibles d’être dégagés et l’ampleur de l’implication de ses clients dans des produits associés à un risque de déforestation comme l’huile de palme ou le soja.

La première banque française a visiblement passé des marchés juteux avec des négociants des secteurs de l’huile de palme et du soja. NurPhoto via Getty.

Cargill : le numéro un mondial du négoce de produits agricoles

Ce chiffre comprend les revenus tirés d’une relation lucrative avec Cargill, le mastodonte du secteur agricole, numéro deux des entreprises privées des États-Unis, et numéro un mondial du négoce de produits agricoles. D’après les estimations, Cargill a fourni 2,6 millions de tonnes de soja brésilien à l’UE en 2018. La majeure partie de ce soja provient du Cerrado, l’une des régions brésiliennes les plus menacées sur le plan écologique, qui abrite cinq pour cent de la biodiversité mondiale, dont des jaguars, des tatous géants et des tapirs. L’expansion de la production de soja aurait entraîné la destruction de 17 000 km2 de forêts et d’autres végétations indigènes au Cerrado entre 2006 et 2017.

Premier négociant en soja brésilien, Cargill semble avoir joué un rôle dans cette destruction. La compagnie ne cartographie pas actuellement toutes les exploitations sur lesquelles son soja est cultivé, pas plus qu’elle ne les contrôle pour connaître leur impact sur la déforestation, même si elle affirme ne pas s’approvisionner dans des zones déboisées de manière illégale et chercher à améliorer la traçabilité au sein de sa chaîne d’approvisionnement en soja. Global Witness s’est mise en relation avec Cargill pour recueillir ses commentaires ; la société a répondu qu’elle avait terminé un processus de cartographie de ses fournisseurs directs dans la région brésilienne du Matopiba et qu’elle espérait cartographier ses fournisseurs directs à travers la région du Cerrado d’ici fin 2021.

« Des preuves d’irrégularités »

En 2018, Cargill s’est vu infliger des amendes d’un montant total de près d’un million de dollars par l’Ibama, l’agence environnementale brésilienne, pour s’être procurée 600 tonnes de soja provenant de zones déboisées de manière illégale au Cerrado. L’enquête de l’Ibama a conclu que des achats anticipés de céréales avaient financé le défrichement illégal de ces terres. Cargill a affirmé à Global Witness qu’elle n’avait pas payé ces amendes et qu’elle les contestait de manière détaillée auprès de l’Ibama, précisant : « Cargill n’a pas acheté de graines de soja associées à un risque de déforestation. »

Un audit officiel de la chaîne d’approvisionnement de Cargill réalisé en 2019 a démontré que plus de 50 % des achats de soja de la compagnie dans l’État amazonien du Pará présentaient « des preuves d’irrégularités ». Cet audit s’inscrivait dans le cadre du Protocole Vert sur les Céréales (« Protocolo Verde de Grãos »), un accord passé entre les producteurs de soja, les négociants en soja et les organes gouvernementaux dans le but d’éliminer le financement du soja associé à un risque de déforestation illégale dans l’État amazonien du Pará et l’approvisionnement en soja de ce type.

La sonnette d’alarme a aussi été tirée par plusieurs enquêtes d’ONG. Un exposé réalisé en 2020 par Greenpeace et le Bureau of Investigative Journalism a découvert que 800 km2 de déforestation et plus de 12 000 incendies s’étaient produits depuis 2015, sur des terres utilisées par ou appartenant à une poignée de fournisseurs de soja de Cargill au Cerrado. Des fournisseurs de soja de Cargill auraient aussi pris part à des actions consistant à occuper des terres appartenant au peuple autochtone des Munduruku au Planalto Santareno et à empêcher la démarcation de ces terres. Les Munduruku ont été « la cible de menaces permanentes émanant d’exploitants agricoles et d’accapareurs de terres », alors que leurs terres traditionnelles subissaient des pressions croissantes de la part de l’agro-industrie, d’après un rapport d’Articulação dos Povos Indígenas do Brasil, une organisation de défense des droits des populations autochtones, et l’ONG Amazon Watch.

Malgré ces nombreux signaux, la relation entre BNP Paribas et Cargill s’est avérée lucrative pour la banque qui, au cours des cinq dernières années, a consenti à Cargill des facilités de crédit et la souscription d’obligations d’une valeur approchant les 4 milliards de dollars. D’après l’analyse des données de Global Witness, les activités de l’empire commercial Cargill les plus étroitement associées à un risque de déforestation – principalement dans les filières soja et huile de palme – auraient pu rapporter à la banque environ 16 millions de dollars depuis 2016.

Un incendie de forêt en Amazonie, État du Mato Grosso, Brésil, 2021. Greenpeace

Wilmar : « le négociant le plus sale du monde »

D’autres éléments démontrent que BNP Paribas a autrement bénéficié de la destruction des forêts de la planète. La banque jouit d’une relation de longue date avec la société Wilmar, surnommée par Greenpeace « le plus grand et plus sale négociant en huile de palme du monde ». Un rapport de Greenpeace de 2018 alléguait que Wilmar s’approvisionnait en huile de palme auprès de 18 entreprises responsables de déforestation. Contacté par Global Witness, Wilmar a affirmé avoir renforcé sa politique « zéro déforestation » depuis la publication des allégations de Greenpeace, et avoir pris en charge les fournisseurs controversés que Greenpeace avaient montrés du doigt en recourant au système de règlement des griefs de l’entreprise.

Entretemps, en 2020, Wilmar a renoncé à participer à une importante initiative sectorielle visant à identifier les zones forestières à protéger d’une conversion agricole, « l’Approche HCS » (haut stock de carbone, « High Carbon Stock Approach »). WWF Indonésie a critiqué cette décision, déclarant que « la décision [de Wilmar de se retirer à ce moment précis] avait été calculée pour lui éviter d’assumer [ses] responsabilités ». Wilmar a déclaré à Global Witness qu’elle continuait de s’engager en faveur de l’Approche HCS dans ses opérations, même si elle avait démissionné de son comité directeur.

Entre 2016 et 2020, la banque a consenti presque 300 millions de dollars de crédit à l’empire Wilmar. Une fois pondérés pour tenir compte de la part de l’activité de Wilmar associée à l’huile de palme et à d’autres produits liés à un risque de déforestation, ces accords auraient pu rapporter 6,04 millions de dollars à BNP Paribas.
Un bébé orang-outan en liberté, Sumatra, 2018. Le développement du palmier à huile dans l’Asie du Sud-Est a eu des répercussions ravageuses sur l’habitat des orangs-outans. Rita Enes / iStock

Olam : des milliers d’hectares rasés

BNP Paribas entretient également des liens particulièrement avantageux avec la société Olam International, qui se décrit comme étant « le premier agriculteur mondial ». Olam est accusée d’avoir rasé 40 000 hectares de forêts tropicales au Gabon entre 2012 et 2017 afin d’y aménager des plantations d’hévéas et de palmiers à huile, incitant le Forest Stewardship Council (FSC), l’organe de certification de la filière bois, à lancer une enquête l’année dernière qui est toujours en cours.

Olam s’est déclarée en profond désaccord avec l’idée selon laquelle le défrichement des forêts à laquelle elle avait procédé était irresponsable ou portait atteinte aux règles du FSC, précisant que ses plantations avaient été aménagées sur des forêts dégradées ou « secondaires » ainsi que sur des zones de prairie. La société a promis de cesser d’abattre la forêt gabonaise en 2017, affirmant qu’elle avait protégé de manière permanente plus de la moitié des terres à haute valeur de conservation situées dans sa concession gabonaise de palmiers à huile.

Toutefois, une étude menée en 2020 par l’ONG gabonaise Muyissi Environnement signalait que les populations locales restaient privées de leurs droits fonciers. Un villageois a ainsi déclaré à l’équipe de chercheurs de l’ONG : « Si un agent de la sécurité d’Olam nous trouve en train de transporter une bête que l’on a abattue à la chasse ou avec du matériel de pêche, on nous confisque la viande ou on nous expulse des lieux où traditionnellement nous pratiquions la pêche. »

Olam a rejeté ces rapports, les qualifiant d’« inexacts et faux », et déclaré qu’elle s’engageait à obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des communautés concernant ses aménagements agricoles et qu’elle investissait dans des projets pour améliorer l’éducation, les soins de santé et l’accès à l’eau au niveau local. Olam a précisé que ses plantations conciliaient parfaitement le besoin de développer l’économie gabonaise avec l’impératif de conservation des forêts du pays.

L’activité de palmiers à huile d’Olam a continué de faire parler d’elle. En 2018, la société a été accusée de s’approvisionner en huile de palme auprès d’entreprises précédemment accusées de déforestation en Indonésie, notamment Bumitama, Jhonlin et Peputra.

Olam a déclaré à Global Witness qu’elle ne s’approvisionnait plus directement auprès de ces sociétés depuis 2017 et qu’elle exigeait de ses fournisseurs qu’ils respectent sa politique NDPE (« Pas de déforestation, pas de tourbière, pas d’incendies et pas d’exploitation »).

Les divisions d’Olam qui présentent un risque de déforestation auraient pu générer plus de 7 millions de revenus pour BNP Paribas depuis 2016, comme le suggère notre analyse, principalement par la mise à disposition de lignes de crédit renouvelable. Vu les inquiétudes évoquées ci-dessus, la banque n’aurait aucunement dû faire affaire avec Olam.

Parmi les autres clients de la BNP dont on sait qu’ils sont liés à la déforestation figurent les géants brésiliens de la filière bovine Marfrig et Minerva, dont l’activité a généré des revenus supérieurs à un million de dollars, d’après les estimations, dégagés de produits agricoles associés à un risque de déforestation, selon l’analyse de Global Witness.

En 2020, un rapport de Global Witness soulevait des préoccupations quant aux efforts consentis par BNP Paribas et d’autres banques françaises pour se conformer à la loi française sur le devoir de vigilance qui exige des entreprises françaises qu’elles identifient et préviennent les atteintes aux droits humains et les préjudices environnementaux dans le cadre de leurs opérations.

Contactée par Global Witness, BNP Paribas a affirmé : « Nous ne pouvons que regretter et réfuter l’hypothèse (...) selon laquelle BNP Paribas tirerait profit d’activités de financement qui détruisent les forêts tropicales de la planète. »

Un porte-parole de la banque a ajouté que ses politiques dédiées au palmier à huile et à d’autres secteurs associés à un risque de déforestation étaient considérées comme « comptant actuellement parmi les meilleures pratiques du secteur bancaire », soulignant qu’en 2021, l’indice Forest 500 de Global Canopy avait classé BNP Paribas parmi les cinq premières institutions financières en termes de politiques de financement durable, sur 150 établissements.

Et la banque de poursuivre : « BNP Paribas ne fournit désormais des produits ou services financiers qu’aux [entreprises agro-industrielles] qui ont une stratégie visant l’objectif zéro déforestation dans leurs chaînes de production et d’approvisionnement à l’horizon 2025 (…). BNP Paribas demeure la seule banque à s’être sérieusement penchée sur la question de la déforestation et de la traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement des filières soja et bœuf en définissant des critères spécifiques et définis dans le temps. »

Les institutions financières mondiales financent des entreprises agro-industrielles aux pratiques préjudiciables et alimentent la destruction de nos forêts, de nos habitations et de nos cultures.

Sônia Guajajara, responsable de l’organisation brésilienne Articulação dos Povos Indígenas do Brasil , qui fait partie de la Global Alliance of Territorial Communities, représentant 35 millions de membres issus de populations forestières

Des profits en toute impunité ou une dette forestière ? Pourquoi les revenus dégagés aux dépens des communautés forestières pourraient avoir des répercussions juridiques pour les banques

Les banques ont très peu de comptes à rendre sur les questions touchant à l’environnement ou aux droits humains, mais l’impunité qui entoure les revenus tirés de la déforestation est aujourd’hui sérieusement contestée. Global Witness estime que les revenus présentés dans ce rapport – que les banques pourraient considérer comme étant inconditionnels – devraient à l’avenir être perçus comme une « dette forestière » qui ne cesse de s’accumuler. Il est probable que les banques doivent adresser une pression publique, gouvernementale et même juridique croissante, qui les amène à restituer cet argent aux communautés affectées.

Une dette envers la forêt

Le concept de « dette écologique » a été élaboré par des universitaires et des activistes dans les années 1990 pour désigner le pillage par l’hémisphère Nord des ressources naturelles de l’hémisphère Sud. Global Witness ne cherche pas à déterminer la valeur numérique de la dette écologique pour chaque dossier examiné, mais plutôt à estimer les montants que les présumés défricheurs ont dégagés de ces marchés.

Les communautés autochtones et locales qui vivent dans les forêts tropicales du Brésil, du bassin du Congo et de l’Asie du Sud-Est restent les premières affectées lorsque des terres sont déboisées, et elles souffrent de manière disproportionnée d’attaques de représailles lorsqu’elles cherchent à les protéger. En moyenne, quatre défenseurs de l’environnement ont été tués chaque semaine entre l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015 et la fin 2020, a révélé Global Witness. De nombreux autres défenseurs ont été ciblés par des actes violents non meurtriers ou ont été criminalisés du fait de leurs activités de protestation pacifique.

Expulsions forcées

Le premier cas connu d’une banque qui a restitué les revenus dégagés d’un contrat douteux a eu lieu en 2020, lorsqu’un groupe d’ONG et des centaines de familles d’agriculteurs cambodgiens ont discrètement accompli ce qui jusque-là paraissait inconcevable : ils sont parvenus à un accord avec ANZ, la deuxième banque australienne. ANZ a remis aux victimes d’accaparement de leurs terres les revenus bruts qu’elle avait dégagés d’un prêt consenti à une compagnie sucrière, Phnom Penh Sugar.

Les ONG avaient fait valoir que ce prêt de 40 millions de dollars n’aurait jamais dû être approuvé dans le cadre de la diligence raisonnée mise en œuvre par la banque. La compagnie sucrière a été accusée d’avoir commis des expulsions forcées, des saisies de terres avec l’appui de l’armée, des destructions de cultures et de biens, des arrestations arbitraires et d’avoir largement recouru au travail des enfants. La décision a fait suite à une plainte déposée initialement en 2014 en vertu des Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), à l’issue d’une campagne concertée qui a duré six années. Depuis, l’OCDE a publié des directives sur les mesures que les institutions financières devraient prendre pour soumettre les risques environnementaux et sociaux à une diligence raisonnée ; on peut donc s’attendre à ce que des dossiers similaires soient ouverts à l’avenir.

ANZ a déclaré qu’elle « admettait que sa diligence raisonnée sur le projet financé par son prêt avait été inadéquate » et qu’elle « reconnaissait les épreuves auxquelles les communautés affectées avaient été confrontées ». Elle a tenu à remarquer qu’elle n’était pas juridiquement responsable des effets néfastes découlant de la concession foncière et du projet de production de canne à sucre.

Dans le même ordre d’idées, des groupes de campagne ont porté plainte contre la banque néerlandaise ING en 2019 par le biais du mécanisme de gestion des plaintes de l’OCDE. Ces groupes ont fait valoir qu’en consentant des prêts successifs à des entreprises impliquées dans des atteintes à l’environnement et aux droits humains, la banque était non seulement directement liée aux préjudices causés mais aussi qu’elle y contribuait activement, d’où l’obligation pour elle d’accorder une réparation et un recours aux communautés affectées. Une affaire toujours en cours s’intéresse aux financements successifs accordés par ING à plusieurs entreprises dont le Groupe Noble, accusé de destruction des forêts. Bien que le système de gestion des plaintes de l’OCDE soit non judiciaire, les plaintes peuvent contribuer à orienter le débat sur de futurs cadres juridiques.

La banque a déclaré au moment où la plainte était déposée : « Chez ING, nous cherchons à utiliser notre effet de levier en nous engageant auprès de nos clients afin d’améliorer leur activité commerciale (…). En tout, nous finançons moins de dix clients qui gagnent 10 % ou plus à partir d’activités liées à des plantations de palmiers à huile. Plus de 85 % de ces clients disposent actuellement d’une politique ‘Pas de déforestation, pas de tourbière et pas d’exploitation’. »

Exiger des entreprises qu’elles rendent compte de leurs actes

Une autre affaire dont la résolution aura valeur de précédent en matière de responsabilité du secteur financier est actuellement menée devant les tribunaux néerlandais par le Conseil civique des organisations populaires et autochtones du Honduras (COPINH) à l’encontre de FMO, la banque de développement néerlandaise. Il s’agit là d’exiger de la banque qu’elle rende compte de son financement d’Agua Zarca, un projet hydroélectrique au Honduras occidental sur le fleuve Gualcarque, considéré sacré par le peuple autochtone Lenca. Le constructeur du barrage, la société hondurienne Desarrollos Energeticos SA (Desa), est accusé de s’être approprié des terres malgré la forte opposition du peuple Lenca et en violation du droit de celui-ci à l’auto-détermination.

FMO s’est départi de son investissement en juillet 2017 suite à l’arrestation l’année précédente d’un employé de Desa en rapport avec le meurtre de la défenseuse environnementale Berta Cáceres. L’un des anciens dirigeants de la société a été reconnu coupable en juillet 2021 d’avoir collaboré au meurtre de Cáceres, qui militait de longue date contre la construction du barrage.

La banque a déclaré qu’à l’époque où le prêt avait été consenti, elle pensait que le projet hydroélectrique aurait un impact positif sur le niveau de vie au Honduras. Après avoir suspendu ce prêt, elle a fait mener une enquête indépendante sur ses activités. En juillet 2020, elle consultait les parties prenantes pour déterminer s’il convenait ou non d’investir dans des États fragiles à l’avenir.

Le gouvernement chinois s’est d’ores et déjà engagé à réfléchir à la manière dont les créanciers pourraient être tenus responsables des préjudices environnementaux. Un document politique officiel de 2016 indiquait que le gouvernement étudierait la façon dont les systèmes juridiques d’autres pays imposaient des exigences de responsabilité environnementale aux créanciers afin de clarifier la position juridique de la Chine.

Une action en justice est en cours contre les financeurs d’une porcherie accusée d’avoir déversé des eaux souillées dans la rivière Han. L’ONG chinoise Fujian Green Home Environment Friendly Center (connue sous le nom de Fujian Lv Jia Yuan) a déposé une demande d’indemnisation de 38 millions de yuans (4,2 millions de livres sterling) en 2018 à l’encontre de deux banques chinoises et de la porcherie à laquelle ces établissements avaient consenti un prêt. L’affaire présentée par l’ONG, qui fait valoir que les banques sont responsables des préjudices environnementaux provoqués, serait toujours en cours. D’autres banques chinoises se sont vu imposer des amendes administratives pour avoir financé des entreprises qui ne respectent pas les normes environnementales nationales.

De nouveaux horizons juridiques

Depuis 2017, la loi française sur le devoir de vigilance exige des entreprises, y compris des banques, qu’elles identifient, atténuent et préviennent les atteintes aux droits humains et les préjudices environnementaux. Il semblerait que cette loi n’ait pas encore été invoquée dans le cadre d’une action en dommages et intérêts contre une banque, mais des affaires pilotes sont à prévoir au cours des prochaines années. En attendant, le Groupe d’action financière, un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a recommandé que soient ajoutées à la législation en vigueur des dispositions régissant les délits environnementaux pour traiter la criminalité en col blanc à travers le monde. De façon respective, l’UE et le Royaume-Uni élaborent actuellement une législation pour exiger des entreprises qu’elles soumettent leurs chaînes d’approvisionnement à une diligence raisonnée afin d’identifier les risques de déforestation, certains députés faisant pression pour que des exigences similaires s’étendent aux institutions financières.

Plus les pressions en faveur de lois et de cadres juridiques plus globaux et plus accessibles s’accentueront, plus les affaires pilotes autour de la responsabilité financière à l’égard des préjudices environnementaux seront nombreuses.

La forêt tropicale recouvre la majorité du territoire de l’État brésilien de l’Acre, mais ces zones sont détruites par des incendies déclenchés pour défricher les terres pour l’élevage de bétail ou la culture du soja. Lalo de Almeida/Panos/Global Witness
Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)8
Valeurs des contrats$3.63 milliard
Revenus estimés$76.2 million
Relation la plus lucrativeSinar Mas Group

Coöperatieve Rabobank U.A. (Rabobank) a été fondée aux Pays-Bas au dix-neuvième siècle. Il s’agissait au départ d’un regroupement de différentes coopératives de crédit s’adressant aux agriculteurs néerlandais. Aujourd’hui numéro deux du secteur bancaire néerlandais, elle continue de mettre l’accent sur le secteur de l’agroalimentaire, avec pour mission de « développer un monde meilleur ensemble ».

Si Rabobank tient à promouvoir une image de durabilité, l’analyse de ses transactions financières depuis 2016 effectuée par Global Witness suggère que la banque aurait pu dégager 76,2 millions de dollars grâce à des accords passés avec des clients qui ont des liens avérés avec la déforestation. Comme pour les calculs précédents, ce chiffre a été pondéré pour tenir compte de la part de l’activité des clients qui est directement impliquée dans la production ou le commerce de produits associés à un risque de déforestation tels que l’huile de palme.

Rabobank a entretenu des relations particulièrement lucratives avec un large réseau d’entreprises contrôlées par Anthoni Salim, quatrième fortune d’Indonésie, qui dispose de près de 6 milliards de dollars d’actifs. Salim détiendrait 45 % des parts de First Pacific, société cotée à la bourse de Hongkong, et en est le président ; il est aussi le PDG de sa filiale IndoFood, qui contrôle plus de 300 000 hectares de plantations de palmiers à huile en Indonésie.

Salim Group : « travail des enfants et violations »

Le groupe d’entreprises Salim est tristement célèbre pour ses activités qui détruisent la forêt tropicale. Greenpeace a accusé le groupe d’avoir défriché plus de 7 000 hectares de forêts entre le 27 avril 2015 et le 2 mars 2018 dans seulement deux de ses plantations de palmiers à huile au Kalimantan, y compris des tourbières protégées. L’empire Salim serait aussi en train d’étendre son rayonnement jusqu’aux nouvelles frontières mondiales de la déforestation – les provinces de la Papouasie et de la Papouasie occidentale, contrôlées par le gouvernement indonésien – par le biais de liens présumés avec des entreprises activement impliquées dans l’élimination de la forêt tropicale.

Deux des filiales indonésiennes de la société ont été accusées en 2016 d’avoir eu recours au travail des enfants et commis d’autres violations en matière de travail, dans une plainte déposée par des ONG devant la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO), le régime de certification phare de la filière. Indofood s’est par la suite retirée de la RSPO et ses filiales ont cessé d’en être membres. Global Witness a contacté les entreprises du groupe Salim pour recueillir leurs commentaires sur ces allégations mais n’a pas reçu de réponse.

Malgré l’existence d’une multitude de rapports troublants concernant le groupe Salim et remontant à plusieurs années, Rabobank n’a rompu ses liens avec Indofood en tant que client qu’en 2019, après que la société avait quitté la RSPO. La banque aurait néanmoins pu dégager 8,8 millions de dollars de revenus des prêts qu’elle a consentis à l’empire Salim, d’après notre analyse – des contrats passés tandis que le groupe Salim détruisait de vastes étendues de forêts tropicales indonésiennes. Ce chiffre est pondéré pour tenir compte de la part des opérations du groupe Salim directement liée à l’huile de palme et à d’autres produits exposés à un risque de déforestation.

Une forêt défrichée sur une concession de palmiers à huile en Indonésie, 2018. Greenpeace / Ulet Ifansasti

Sinar Mas : 30 années de destruction

Entre 2016 et 2020, Rabobank a également financé à plusieurs occasions le groupe Sinar Mas, propriétaire d’Asia Pulp and Paper (APP), société notoire dont le WWF affirme qu’elle « affiche près de trente ans de déforestation, de destruction des habitats de la faune sauvage, de drainage de tourbières et de conflits avec les communautés locales ».

En 2018, le FSC a pris la décision inhabituelle de mettre fin à son association avec APP, suite à des rapports concernant sa relation avec des entreprises accusées de détruire la forêt tropicale indonésienne et de contribuer à des feux de tourbières ravageurs pour alimenter en bois ce géant de la filière papier. APP a déclaré à Global Witness qu’elle était en pourparlers avec le FSC en vue de revenir sur ce retrait, et que « APP s’engageait depuis 2013 en faveur d’une feuille de route de la durabilité qu’elle avait mise en œuvre ces huit dernières années ».

Sinar Mas est également un acteur majeur du secteur de l’huile de palme, via la société Golden Agri Resources (GAR), que Sinar Mas appelle « son pilier agroalimentaire ». Sinar Mas a été fortement critiquée dans les années 2000 pour avoir défriché illégalement des terres et détruit une forêt à haute valeur de conservation, poussant Nestlé à cesser de s’approvisionner auprès d’elle. Depuis, GAR a pris certaines mesures pour redorer son blason, notamment en introduisant une politique « zéro déforestation » en 2011.

Mais les polémiques ont continué d’affecter les opérations du groupe dans le secteur de l’huile de palme. Une enquête menée en 2019 par Rainforest Action Network a signalé que GAR achetait de l’huile de palme à deux huileries qui s’approvisionnaient auprès d’une plantation à Sumatra située à l’intérieur de la réserve de Rawa Singkil. Il s’agit d’une zone de conservation de haute priorité et d’un habitat critique pour la faune sauvage, surnommée « la capitale mondiale des orangs-outans ». En 2018, Greenpeace rapportait que GAR s’approvisionnait auprès de dix groupes différents responsables de déforestation.

Un porte-parole de GAR a affirmé à Global Witness que même si la société « partage la même histoire et les mêmes valeurs que la marque Sinar Mas », elle est gérée de manière indépendante. Il a précisé que GAR disposait d’une politique zéro déforestation et que son objectif était de parvenir à « une chaîne d’approvisionnement de l’huile de palme entièrement traçable », ajoutant que fin 2020, « [GAR avait] atteint 90 % de traçabilité jusqu’aux plantations ». Sinar Mas n’a pas répondu à notre demande de commentaires.

Des sites religieux détruits au bulldozer

Un projet de palmiers à huile dans l’État ouest-africain du Liberia a également suscité toute une série d’allégations sociales et environnementales à l’encontre de GAR. Il s’agissait en effet du principal investisseur dans Golden Veroleum Liberia (GVL), qui aurait défriché plus de 15 000 hectares de forêts – dont des habitats de chimpanzés – et été mêlé à de nombreux litiges fonciers.

En 2016, Global Witness a rendu compte du fait que GVL avait rasé des sites religieux sacrés du peuple Blogbo, dans le comté de Sinoe, à coups de bulldozers. GVL a été censurée par la RSPO en 2018 pour ne pas avoir obtenu le consentement libre, informé et préalable des communautés locales et, en 2021, un panel indépendant de l’Approche HCS a porté plainte contre la société, faisant valoir qu’elle avait abattu une forêt à haute valeur et n’avait pas respecté les droits fonciers communautaires.

GVL a déclaré à Global Witness que « les allégations relatives aux sites religieux relevées par certains membres de la communauté Blogbo avaient été réfutées par écrit par d’autres membres de la communauté », ajoutant que le grief était en cours de traitement au moyen d’un processus de remise en état dont elle devait rendre compte auprès de la RSPO.

Une plantation de palmiers à huile de GVL au Liberia. L’expansion des plantations agro-industrielles, appuyée par les banques internationales, a fait payer un lourd tribut aux forêts. Global Witness

Somme toute, il s’agit là d’un catalogue lamentable d’abus liés au groupe Sinar Mas. Pourtant, l’analyse de Global Witness des données financières indique que Rabobank a consenti 376 millions de dollars de prêts et de crédits à des filiales du groupe Sinar Mas depuis 2016. Rabobank aurait pu dégager de ces accords 43,8 millions de dollars de revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation.

Contactée par Global Witness, Rabobank a déclaré qu’elle « ne voulait pas financer la déforestation ou l’accaparement de terres » et qu’elle avait mis en œuvre des politiques à cette fin. La banque a ajouté qu’elle était favorable à « une stratégie axée sur un engagement auprès des entreprises qui sont actuellement nos clients pour répondre efficacement à toute préoccupation [d’ordre environnemental ou social] », même si elle avait mis fin à certaines relations si les progrès n’étaient pas satisfaisants. Un porte-parole de la banque a souligné que, bien qu’elle entretienne une relation avec le groupe Sinar Mas, Rabobank ne finançait pas directement ni ses filiales de papier et de pâte à papier, ni GVL, le projet de palmiers à huile au Liberia avec lequel le groupe avait été associé.

Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)19
Valeurs des contrats$4.50 milliard
Revenus estimés$14.1 million
Relation la plus lucrativeCargill

Deutsche Bank se targue de ce que ses employés ont planté 300 000 arbres sur des dizaines d’hectares, ayant consacré de longues heures à des actions de bénévolat au cours des dix dernières années. Le site de la banque et ses réseaux sociaux présentent des équipes d’employés souriants en train de planter des sapins, des chênes rouges et des châtaigniers dans une forêt allemande et des plants fruitiers au Maharashtra, en Inde. Pourtant, le plus important organisme de prêt allemand a dégagé des revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation se montant d’après les estimations à 14,1 millions de dollars ces cinq dernières années, ayant apporté un soutien financier de 4,5 milliards de dollars à certaines des premières entreprises responsables de la déforestation.

La plus ancienne savane arborée du monde

Deux de ses relations les plus lucratives sont avec Cargill et SLC Agricola, des entreprises agro-industrielles associées à la destruction du Cerrado brésilien, que l’organisation de défense de l’environnement WWF décrit comme étant la plus ancienne savane arborée du monde et l’une des plus riches en termes de biodiversité. Surnommée « la forêt à l’envers », elle séquestre d’après les estimations 118 tonnes de carbone par acre, selon l’ONU, principalement dans la terre et au niveau du système racinaire à grande profondeur. Plus de 730 000 hectares de cette forêt ont été défrichés en 2020, essentiellement pour les besoins de l’élevage de bétail, de la production de soja et à des fins de spéculation foncière. Cela revient à éliminer chaque année une zone supérieure à la superficie du Brunei.

Plus d’un tiers de l’appui financier apporté par Deutsche Bank aux 20 responsables de la déforestation signalés dans l’analyse de Global Witness avait pour destinataire la société Cargill. Ne serait-ce que l’année dernière, Cargill se serait approvisionnée auprès de groupes agricoles comptant parmi leurs terrains 19 000 hectares de zones déboisées, d’après Chain Reaction Research (CRR). CRR s’est servi d’informations provenant du programme gouvernemental brésilien de subvention aux producteurs de soja pour identifier les relations d’achat des producteurs. Cargill a déclaré à Global Witness qu’elle « ne fournit et ne compte pas fournir de soja provenant d’agriculteurs qui défrichent des terres de manière illégale ou dans des zones protégées ». D’après les estimations, la banque a dégagé des revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation de 4,51 millions de dollars grâce à l’appui financier de 1,54 milliard de dollars qu’elle a fourni à Cargill, principalement sous la forme de lignes de crédit renouvelable.

SLC Agricola : des amendes à répétition

Deutsche Bank détient des parts du producteur de soja brésilien SLC Agricola d’une valeur estimée à 6,83 millions de dollars ; SLC Agricola a dégagé des dividendes pondérés pour tenir compte de la déforestation estimés à 1,75 million de dollars. Chain Reaction Research a démontré que SLC Agricola avait déboisé plus de 30 000 hectares de forêt au Cerrado brésilien entre 2011 et 2017, une zone de la taille des Maldives. La société a également défriché 1 355 hectares dans cette même région entre mars et mai 2019.

SLC Agricola a déclaré qu’elle respectait le droit de l’environnement et que les organes compétents contrôlaient ses activités, précisant : « L’ouverture [le défrichement] de zones par SLC Agricola a toujours été faite de manière légale, en respectant toutes les réglementations et avec les licences appropriées, le but étant de garantir la production de denrées alimentaires, plus spécifiquement de soja et de maïs, afin d’appuyer la mission de la Compagnie qui consiste à nourrir le monde de manière durable et responsable. »

L’agence environnementale fédérale brésilienne, l’Ibama, a infligé à SLC Agricola de nombreuses amendes depuis 2007 pour des délits allant de la culture de soja dans des zones placées sous embargo à des dégâts causés à la forêt naturelle sans autorisation préalable délivrée par l’organe officiel compétent, a révélé Global Witness en 2020. Un document de la société de décembre 2020 indique que SLC Agricola se préparait à l’éventualité de devoir payer au moins six amendes environnementales d’une valeur totale de 4,08 millions de réaux (565 000 livres sterling).[2] La compagnie a qualifié de « probable » la possibilité de devoir s’acquitter d’une de ces amendes, d’un montant approximatif de 330 000 réaux, et de « raisonnablement possible » s’agissant des cinq autres.

Atteintes aux droits humains et accaparement de terres

Deutsche Bank entretenait aussi des liens financiers étroits avec JBS Group, un important négociant en viande brésilien. JBS a acheté du bétail auprès d’au moins 327 fermes dont les terres avaient fait l’objet d’une déforestation entre 2017 et 2019 et dans l’État du Pará, dans la forêt amazonienne brésilienne, ces activités ayant parfois porté atteinte à ses obligations légales, a révélé Global Witness l’année dernière.

JBS a déclaré à Global Witness que dans chacun de ces cas, elle avait strictement respecté un protocole de suivi des fournisseurs de bétail et l’accord passé avec le Bureau du procureur fédéral du Brésil.

En outre, JBS a acheté du bétail à Rafael Saldanha, un éleveur accusé d’atteintes aux droits humains, de meurtre et d’accaparement de terres par le parquet brésilien, comme le démontrait notre rapport. Des enquêtes récentes de Global Witness ont révélé que JBS avait continué de s’approvisionner auprès de ce même éleveur en 2020 et début 2021, contrairement à ses engagements volontaires.[3] JBS a précisé qu’un tribunal avait rejeté les allégations d’accaparement de terres en 2021 et que ses achats auprès de l’éleveur en question étaient conformes aux engagements juridiques qu’elle avait pris auprès du parquet fédéral visant l’objectif zéro déforestation. Elle n’a pas répondu à la question concernant la conformité de ses achats à ses engagements volontaires, dont les normes sont plus strictes.

La société a déclaré : « Comme l’indique notre analyse technique détaillée, l’application et la prise en compte appropriées des critères du Protocole de suivi des fournisseurs du Bureau du procureur fédéral et de la méthodologie convenue montrent que JBS a respecté à 100 % ses modalités dans les cas visés.

Nous tenons à réitérer que la mise en œuvre de politiques de durabilité dans des chaînes de production complexes comme celle du bétail au Brésil est un défi énorme qui ne pourra être relevé, une bonne fois pour toutes, que grâce aux efforts et à l’engagement conjoints de toutes les parties prenantes. »

Ne serait-ce qu’en 2020, la banque a réalisé des intérêts et des dividendes d’un montant estimé à 1,55 million de dollars sur les actions et les obligations JBS, si l’on tient compte uniquement de la part de l’activité de JBS dédiée à la viande bovine. Et ce, alors que Global Witness révélait en 2019 dans son rapport La finance flambeuse que Deutsche Bank faisait partie des financeurs qui entre 2013 et 2019 avaient fourni des dizaines de milliards de dollars à des compagnies qui détruisent les zones de forêt tropicale les plus vastes au monde.

Un troupeau de bétail dans l’État du Pará, en Amazonie brésilienne. L’expansion de l’élevage est un moteur majeur de la déforestation. Greenpeace

IOI Group : « une destruction environnementale sérieuse »

Deutsche Bank a aussi bénéficié d’investissements douteux dans le développement d’exploitations de palmiers à huile en Asie du Sud-Est. Elle a dégagé des intérêts et des dividendes pondérés pour tenir compte de la déforestation d’un montant estimé à 505 000 dollars à partir d’actions et d’obligations du groupe malaisien IOI Group au cours des cinq dernières années. Greenpeace a fortement critiqué IOI en 2016 pour avoir acheté de l’huile de palme à des fournisseurs « associés à une destruction environnementale et à des atteintes aux droits humains d’une grande gravité ».

IOI a expliqué à Global Witness que cette qualification était exagérée, car les compagnies mises en évidence par Greenpeace étaient des fournisseurs indirects d’IOI, ou, dans un cas, il s’agissait d’une société qui ne fournissait pas IOI en marchandises venant d’Indonésie, pays visé par les allégations de déforestation de Greenpeace. IOI a réduit le risque de déforestation au sein de sa chaîne d’approvisionnement depuis 2016 en améliorant ses outils de diligence raisonnée ainsi que la traçabilité de ses fournisseurs d’huile de palme, a-t-elle déclaré. Elle a ajouté que Deutsche Bank ne comptait pas parmi ses principaux financeurs.

IOI aurait détenu près d’un tiers du producteur d’huile de palme Bumitama sur la période 2014–2018, lorsque Greenpeace a allégué que 2 300 hectares avaient été déboisés dans des zones associées à Bumitama.

Bumitama a précédemment déclaré que toute activité préalable de défrichement contraire aux normes RSPO donnerait lieu à une indemnisation en vertu des procédures de remise en état. La société n’a pas répondu à la demande de commentaires de Global Witness.

Des engagements non respectés

La division Investissement de Deutsche Bank est considérée comme ayant joué un rôle critique dans le récent revirement de fortune de la banque allemande. Chose inhabituelle, jusqu’en mai 2021, son PDG, Christian Sewing, était également à la tête de l’activité de banque d’investissement. La banque a dégagé les plus importants revenus trimestriels depuis 2014 sur les trois premiers mois de 2021, principalement grâce aux accords juteux passés par cette activité de banque d’investissement. Lors de précédentes années, Deutsche Bank avait généré des pertes, après une série d’amendes, dont une de 163 millions de livres sterling imposée en 2017 par la Financial Conduct Authority britannique suite à des préoccupations relatives à des activités de blanchiment de capitaux. Avec ce nouvel accent stratégique placé sur les investissements, il est d’autant plus urgent que la banque mette de l’ordre dans sa politique régissant les investissements associés à un risque de déforestation.

Deutsche Bank a refusé d’émettre des commentaires sur ce rapport lorsque Global Witness l’a contactée. Elle a signé les Principes des Nations Unies pour l’Investissement responsable, au titre desquels les banques s’engagent à respecter les Objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, et a également déclaré qu’elle ne financerait pas la destruction de la forêt primaire, de zones à haute valeur de conservation ou de tourbières, l’exploitation forestière illégale et l’utilisation incontrôlée ou illégale des incendies lorsqu’il existe des preuves claires et manifestes que de tels préjudices sont commis. Mais elle ne va pas jusqu’à interdire le financement de toute la déforestation et sous-entend qu’une certaine perte forestière serait acceptable si des arbres étaient plantés pour la compenser.

Ses propres recherches en matière d’ESG ont récemment souligné que les dégâts environnementaux ne pouvaient être inversés, que « les forêts tropicales brûlées auront du mal à repousser » et que « les risques associés à l’inaction sont substantiels ». L’équipe environnementale de la banque a également reconnu qu’une hausse des températures de trois degrés Celsius au-dessus des niveaux préindustriels entraînerait la disparition potentielle de la forêt tropicale amazonienne et l’extinction de jusqu’à la moitié des espèces de la planète.

Les accords décrits ci-dessus vident de leur sens toutes ces belles paroles. La success story de cette banque d’investissement cache d’énormes lacunes dans sa stratégie de préservation des forêts. Et elle a beau tenir de longs discours sur la durabilité, la banque a continué d’investir dans certaines des principales entreprises responsables de la déforestation.
Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)18
Valeurs des contrats$9.38 milliard
Revenus estimés$56.9 million
Relation la plus lucrativeItochu

Il y a quelques mois, la première banque américaine a organisé un événement numérique sur l’investissement durable intitulé « La forêt tropicale amazonienne et vous ». JPMorgan, banque d’investissement avec trois mille milliards de dollars d’actifs sous gestion, a invité la militante écologiste et documentariste Céline Cousteau à intervenir lors de cette conférence. Le lancement de son documentaire sur les populations autochtones menacées de la vallée de la Javari, dans la forêt tropicale brésilienne, avait lieu à peu près au même moment sur le service de diffusion de vidéos Amazon Prime.

Les clients qui se sont connectés à la conférence de JPMorgan ont ainsi appris que le soja, l’huile de palme et la viande bovine faisaient partie des produits qui avaient accéléré la destruction de la forêt tropicale. La conférence a insisté sur la nécessité de protéger les forêts tropicales, faisant écho aux valeurs défendues par l’Accord de Paris sur le climat, parmi lesquelles figurent la conservation et le renforcement des forêts, et sur lesquelles JPMorgan a promis d’aligner ses investissements. Mais au-delà de ces discours, ce sont les actes qui comptent.

L’analyse de Global Witness suggère aujourd’hui que JPMorgan aurait pu dégager des revenus pondérés pour tenir compte de la déforestation d’un montant susceptible d’atteindre les 56,9 millions de dollars à partir des 9,38 milliards de dollars de marchés passés avec des entreprises ayant alimenté la destruction des forêts tropicales. Cela ferait de JPMorgan le plus gros financeur de la déforestation aux États-Unis, dans l’UE, au Royaume-Uni et en Chine. D’après les estimations, JPMorgan aurait perçu plus d’un dixième des 538 millions de dollars de revenus imputables à des banques et investisseurs américains. Ce montant représentant ses revenus régionaux s’appuie sur une estimation des revenus dégagés de l’appui financier apporté aux acteurs de la déforestation, et est pondéré pour tenir compte de la part de l’agro-industrie qui est axée sur des produits associés à un risque de déforestation.

Quelque 15,6 millions de dollars de revenus dégagés par JPMorgan du financement de flux commerciaux dans les secteurs de l’huile de palme, de la viande bovine et du soja liés à Cargill, dont les opérations préjudiciables – y compris ses liens avec la déforestation dans la forêt tropicale brésilienne et dans les zones boisées du Cerrado – sont étudiés ci-dessus. Global Witness a contacté JPMorgan pour recueillir sa réaction aux liens qu’elle entretiendrait avec la déforestation, mais la banque s’est abstenue de tout commentaire.

Groupe Genting : parier avec notre avenir

Notre analyse suggère que le secteur de l’huile de palme représente une autre source de revenus lucrative pour JPMorgan. La banque est le premier organisme de financement du groupe Genting, qui gère des casinos mais fait également le commerce d’huile de palme malaisienne et indonésienne. Genting s’est retrouvé sous le feu des projecteurs en 2015 lorsque le Norwegian Pension Fund, le fonds souverain le plus important au monde, l’a éliminé de son portefeuille, jugeant que les opérations du groupe faisaient courir un risque de « dégâts environnementaux graves ». Le fonds a pris cette décision après s’être rendu compte que le groupe Genting avait défriché près de 40 000 hectares de forêt à Bornéo, en Indonésie, entre 2008 et 2012, d’après la principale conseillère auprès de son conseil d’éthique, Hilde Jervan.

Genting a déclaré que ses plantations de palmiers à huile en Indonésie avaient été aménagées sur des concessions forestières abandonnées qui n’étaient pas répertoriées en tant que forêts en vertu du droit indonésien. Le groupe a ajouté que cette démarche contribuait à la « réhabilitation des sols » et à l’économie locale.

Entre mars 2015 et juin 2018, la société de plantations Permata Sawit Mandiri (PSM) a abattu 500 hectares de forêt tropicale où vivaient des orangs-outans au Kalimantan occidental, en Indonésie, d’après une enquête de Greenpeace. Genting était l’actionnaire majoritaire de cette société jusqu’en septembre 2017, date à laquelle le groupe l’aurait vendue. Genting a affirmé à Global Witness ne pas avoir défriché de forêts ou aménagé de plantations de palmiers à huile sur ces terres et avoir décidé de se défaire de PSM car ses terrains étaient jugés inadaptés au développement de l’huile de palme.

Une plantation de la filiale de Genting, Citra Sawit Cemerlang, a également fait l’objet d’activités de déforestation en 2019, d’après un rapport de Mighty Earth. Genting a déclaré avoir enquêté sur cette allégation et en avoir conclu que l’intégralité de l’aménagement des terres était « conforme aux évaluations HCV et HCS [haut stock de carbone] et ne contribuait pas à la déforestation ».

En plus d’être associée à la déforestation, JPMorgan Chase a essuyé une pluie de critiques pour avoir investi dans les combustibles fossiles. Erik McGregor/Lightrocket via Getty

Des cimetières saccagés

Des groupes de peuples autochtones ont déposé de nombreuses plaintes en raison de l’impact que les activités agricoles de Genting avaient sur leur vie. Les peuples Sungai et Dusun de Tongod, une zone boisée de l’état de Sabah, en Malaisie, ont ainsi présenté une réclamation choquante : Tanjung Bahagia Sdn Bhd, filiale de Genting et exploitant de plantations, a détruit au bulldozer des cimetières dans leurs villages, comme l’indique le courrier adressé par les communautés à la RSPO. La plantation a poursuivi son expansion sur leurs terres en violation de leurs droits coutumiers jusqu’en 2011, d’après les peuples Sungai et Dusun. Elle a limité leur accès à la chasse, à la pêche, aux terres agricoles et aux produits forestiers, avec des répercussions à long terme pour les communautés.

Genting s’est déclaré en total désaccord avec toutes ces allégations.

La RSPO a clos le dossier sans se prononcer d’une manière ou d’une autre, après avoir déclaré que le recours du peuple Tongod contre Genting devant les tribunaux malaisiens avait abouti en mars 2016. Les communautés protestaient contre l’utilisation de ces terres depuis 1997.

Genting a précisé qu’au moment où il avait acheté des terres Tongod en 2001, le gouvernement d’État avait déjà délivré un titre privé et tenu compte de toute réclamation préalable relative aux droits coutumiers. Le groupe a indiqué que l’affaire judiciaire était en rapport avec des événements qui s’étaient déroulés avant que Genting n’acquière ces terres.

Une autre filiale du groupe Genting a détruit l’exploitation agricole d’une communauté indonésienne et sa plantation de rotin, d’après une plainte déposée auprès de la RSPO en octobre 2018. La plantation PT Kapuas Maju Jaya n’a pas dédommagé les membres du groupe Kelompok Tani Penghijauan Tingang Menteng en contrepartie d’activités menées sur 150 hectares de terres communautaires au Kalimantan central, à Bornéo, en Indonésie, précisait la plainte. Un document de la RSPO suggère que l’affaire a été close après le décès du représentant de la communauté lors d’un processus de médiation mené par l’État auprès de Genting.

Genting a affirmé à Global Witness qu’il avait dédommagé la communauté et que l’affaire avait été close après que le comité des plaintes de la RSPO avait conclu que Genting avait rempli ses obligations légales. Un porte-parole du groupe a ajouté : « GENP [Genting Plantations Berhad]... continue de protéger les groupes autochtones en adoptant une approche axée sur leur consentement libre, informé et préalable. Nous respectons les droits légaux et coutumiers des peuples locaux, autochtones et tribaux. »

Des relations lucratives

En dépit de tout cela, JPMorgan a apporté à Genting un soutien financier de 688 millions de dollars entre 2016 et 2020, ce qui, d’après la part estimée de l’activité liée à des produits présentant un risque de déforestation, a permis à la banque de dégager quelque 866 000 dollars. En juin 2021, JPMorgan détenait toujours des actions et des obligations Genting, malgré toute une série de plaintes qu’un exercice élémentaire de diligence raisonnée aurait dû mettre en évidence.

À l’issue d’une campagne menée par l’investisseur militant Green Century Capital Management, JPMorgan a déclaré en avril qu’elle s’apprêtait à exiger de ses clients de la filière de l’huile de palme qu’ils disposent de politiques zéro déforestation. La banque a déclaré à Global Witness qu’une version actualisée de la politique entrerait en vigueur avant la publication du présent rapport. Bien que Genting dispose d’une politique zéro déforestation, elle semble ne pas avoir protégé les groupes autochtones vivant dans des forêts dans lesquelles le groupe avait aménagé des plantations.

Itochu : une chaîne d’approvisionnement entachée

JPMorgan est également le principal financeur d’Itochu, un important grossiste en produits alimentaires et négociant en huile de palme japonais. JPM a passé des accords d’une valeur totale de 2,41 milliards de dollars avec Itochu, d’après Profundo, dégageant quelque 15,8 millions de dollars de revenus si l’on tient compte de la part de l’activité d’Itochu consacrée à des produits associés à un risque de déforestation.

Le secteur japonais de production électrique par la biomasse, en forte croissance, a fait de ce pays un importateur majeur d’huile de palme indonésienne, d’après un rapport publié par Chain Reaction Research en avril 2021, et Itochu joue un rôle de premier plan dans cette expansion. Entre juin et novembre 2020, Itochu était ainsi l’un des principaux importateurs japonais de coques de palme servant à produire de l’électricité, essentiellement un combustible bon marché pour les centrales biomasse.

L’année dernière, 4 538 hectares de forêts ont été défrichés par 40 usines de la chaîne d’approvisionnement en huile de palme d’Itochu, toujours d’après le rapport de Chain Reaction Research. Itochu a déclaré à Global Witness qu’elle ne s’approvisionnait pas auprès de toutes les usines associées à un risque de déforestation citées dans le rapport, même si elle a reconnu entretenir des relations commerciales avec certaines d’entre elles. Itochu a précisé qu’elle avait provisoirement suspendu ses activités avec certaines de ces usines et qu’elle ne les avait reprises qu’une fois que les fournisseurs avaient pris des « mesures correctives », par exemple en cessant de défricher les forêts et en reboisant des forêts endommagées.
Vues aériennes de troupeaux de bétail à São Félix do Xingu, État de Pará, Brésil, 2019. Fábio Nascimento / Greenpeace

Brookfield Asset Management : impliqué dans la déforestation

Enfin, JPMorgan fait partie des principaux bailleurs de fonds de Brookfield Asset Management, ayant passé des accords d’une valeur estimée à 845 millions de dollars avec ce gestionnaire d’actifs canadien au cours des cinq dernières années. Brookfield affirme que ses investissements dans les énergies non polluantes contribuent à accélérer la transition vers une économie à faible émission de carbone.

Cependant, une exploitation agricole brésilienne liée à l’une de ses filiales, Brookfield Agriculture Group, a été accusée par l’ONG Mighty Earth d’avoir défriché 954 hectares de savane arborée en 2019. Brookfield est également responsable d’activités de déforestation sur une superficie de quelque 13 746 hectares entre 2000 et 2017, d’après une analyse de Chain Reaction Research de données satellitaires qui mettent en évidence une perte d’arbres dans le périmètre de l’exploitation. Ces deux allégations concernent la région brésilienne du Cerrado.

Brookfield n’a pas fourni de commentaire à Global Witness sur ce sujet.

Céline Cousteau a donné quelques conseils aux participants à la conférence de JPMorgan. « Les bonnes intentions sont une très belle chose mais il faut que des actions s’ensuivent », a-t-elle remarqué. « Ma suggestion serait donc, encore une fois, de réfléchir à ce qui est important pour vous puis d’agir en conséquence. »

Agro-industriels associés à la déforestation qui ont reçu des investissements en (/20)14
Valeurs des contrats$4.67 milliard
Revenus estimés$111 million
Relation la plus lucrativeSinar Mas Group

Avec plus de trois milliards de dollars d’actifs sous gestion, Bank of China est la quatrième plus importante banque d’Asie et la plus ancienne de Chine, ayant été fondée en 1912. Cette banque publique a fait savoir à ses actionnaires l’année dernière qu’elle avait « vigoureusement soutenu les activités de protection environnementale et pris des mesures pour concrétiser sa vision selon laquelle les eaux limpides et les montagnes verdoyantes sont des atouts inestimables ». Mais une analyse de ses résultats financiers suggère qu’au cours des cinq dernières années, elle aurait largement profité de marchés passés avec certaines des principales entreprises responsables de la destruction des forêts tropicales.

Royal Golden Eagle : des taux de déforestation vertigineux

La banque est un financeur clé du conglomérat indonésien Royal Golden Eagle (RGE). L’un des membres du groupe RGE, la société April International, fait partie des plus importants producteurs mondiaux de pâtes et papiers et est associé à une longue série de polémiques en rapport avec la déforestation. En 2013, la société a été dissociée du FSC à l’issue d’une plainte déposée par Greenpeace, WWF et d’autres ONG relatives à des activités de déforestation et des atteintes aux droits humains de grande ampleur. Cette plainte était motivée par des rapports selon lesquels des fournisseurs d’April avaient défriché à Sumatra 140 000 hectares de forêt – une superficie vertigineuse –, où vivaient des éléphants et des tigres, en l’espace de tout juste quatre années.

Contacté par Global Witness, RGE a commenté : « APRIL dispose depuis 2015 d’un engagement zéro déforestation dans sa Politique de gestion durable des forêts (…). APRIL a réaffirmé son engagement en faveur de relations et d’une coopération intégrales avec le FSC (…) dans le cadre d’un processus constructif et dynamique consistant à mettre fin à la dissociation d’APRIL [du FSC]. »

Des rapports plus récents, dont un publié en 2020 par l’ONG indonésienne Jikalahari, ont allégué que Riau Andalan Pulp and Paper (RAPP), filiale d’April, continuait d’assécher les forêts de tourbières riches en carbone de Sumatra. L’assèchement des tourbières, souvent dans le but de les transformer en plantations, joue un rôle clé dans les feux de forêt ravageurs et la brume dont souffre l’Indonésie depuis une décennie.

RGE a déclaré à Global Witness que les opérations de RAPP étaient « approuvées par le gouvernement » et avaient impliqué « des consultations préalables avec les communautés (…) et la protection des zones de conservation », ajoutant que ces opérations avaient pour but d’« améliorer la gestion des ressources hydriques et de réduire le risque d’incendie ».

Des rhinocéros menacés

En 2020, RGE a été accusé par l’ONG Aidenvironment de détenir et d’avoir des liens à travers sa chaîne d’approvisionnement avec trois sociétés indonésiennes de pâtes et papiers responsables d’une déforestation de grande ampleur. RGE a fermement démenti ces allégations, déclarant : « Nous réitérons notre rejet catégorique de tout lien avec ces entreprises et de toute affirmation selon laquelle une déforestation s’est produite au sein de notre réseau de fournisseurs. »

RGE gère également la société Apical, qui se décrit comme l’un des plus gros exportateurs indonésiens d’huile de palme. En 2020, Apical a été accusée par l’ONG Rainforest Action Network de se fournir en huile de palme auprès d’une usine approvisionnée par PT Tualang, une société indonésienne qui détruit la forêt tropicale de l’écosystème de Leuser, abritant rhinocéros, tigres et orangs-outans sur l’île de Sumatra.

En réponse à ces allégations, la société a déclaré à Global Witness qu’elle ne s’était pas approvisionnée directement auprès de PT Tualang mais auprès d’une usine détenue par un tiers, et que le dossier avait été traité au moyen du mécanisme de gestion des plaintes d’Apical.

Des officiers de police tentent d’éteindre un feu de forêt dans le village de Rumbai Pesisir à Riau, Sumatra. Afrianto Silalahi/NurPhoto via Getty Images, 4 octobre 2019

Malgré ces scandales, Bank of China a passé des contrats d’une valeur estimée à quelque 298 millions de dollars dans le groupe RGE depuis 2016. Elle a notamment contribué à mettre en place un prêt syndiqué d’une valeur totale d’un milliard de dollars pour April International en 2020. L’analyse réalisée par Global Witness montre que Bank of China aurait pu dégager des millions de sa relation avec RGE entre 2016 et 2020, en dépit des préjudices décrits ci-dessus. Les revenus de la banque, en tenant compte des opérations de RGE dans des secteurs présentant un risque de déforestation, s’élèveraient à 33,5 millions de dollars.

COFCO : le géant du négoce

Bank of China est aussi un financeur majeur de COFCO, le numéro un chinois de l’agroalimentaire, associé à des risques de déforestation à travers sa chaîne d’approvisionnement en soja. Cette filière soja de COFCO aurait pu générer pour la banque des revenus pondérés pour tenir compte des risques de déforestation de quelque 20,4 millions de dollars depuis 2016, d’après une analyse de Profundo portant sur les données accessibles au public sur l’empire COFCO.

Ce géant du négoce expédie chaque année jusqu’à quatre millions de tonnes de soja du Brésil vers la Chine, d’après les analystes TRASE, en grande partie pour l’alimentation porcine. Une grande quantité de ce soja provient des zones brésiliennes menacées que sont le Cerrado et l’Amazonie. COFCO n’est actuellement pas en mesure de tracer intégralement l’origine de son soja brésilien. Le négociant a déclaré à Global Witness qu’il s’engageait à assurer une traçabilité totale de ses fournisseurs directs de soja d’ici 2023.

Mighty Earth a allégué que depuis octobre 2017, des fournisseurs liés à COFCO auraient défriché 21 498 hectares de forêts au Brésil, la majeure partie de ce défrichement étant qualifié de « possiblement illégal » car susceptible de s’être produit dans des réserves et des zones de préservation légales. COFCO a nié s’être approvisionné auprès de certaines des exploitations identifiées par Mighty Earth, ajoutant que l’analyse de l’ONG n’identifiait pas de façon concluante d’exploitations spécifiques où le soja était cultivé. Le Bureau of Investigative Journalism a signalé en mai 2021 que COFCO pourrait entretenir des liens par le biais de sa chaîne d’approvisionnement avec un exploitant amazonien qui a « reçu des amendes et a été sanctionné à plusieurs reprises après avoir détruit de vastes étendues de forêt tropicale ».

Plusieurs clients de la plus ancienne banque de Chine font face à des allégations de déforestation. SOPA Images / Lightrocket via Getty

Sinochem : un projet ravageur

Une analyse des données réalisée par Global Witness suggère aussi que Bank of China aurait pu dégager plus de 1,05 million de dollars d’accords avec Sinochem, en tenant compte de la part de son activité qui implique des produits associés à un risque de déforestation. Le conglomérat chimique chinois détient une participation majoritaire dans l’un des projets agro-industriels les plus ravageurs en Afrique, la plantation de caoutchouc Sudcam, au Cameroun. Entre 2012 et 2018, Sudcam aurait défriché 12 700 hectares de forêt tropicale primaire à côté de la réserve de faune du Dja, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Ce projet a également entraîné la destruction de campements et de sites sacrés appartenant à des groupes de peuples autochtones forestiers Baka et provoqué la perte de leurs terrains de chasse traditionnels, comme l’a révélé une enquête de Greenpeace.

« Tout couper »

Interrogé par un journaliste camerounais en 2020, un chef communautaire a ainsi décrit l’impact de Sudcam sur le mode de vie de la communauté : « Avant, si mon enfant était malade, je traversais le chemin pour aller chercher des écorces et des feuilles afin de préparer un remède [issu de la forêt]. Mais aujourd’hui on ne trouve rien ici. La compagnie a tout coupé. Il ne nous reste plus rien. »

Global Witness a contacté Sinochem pour recueillir ses commentaires mais n’a pas reçu de réponse.

Un porte-parole de Corrie Maccoll, la filiale de Sinochem chargée de la gestion de Sudcam, a déclaré que la compagnie disposait depuis 2018 d’une politique zéro déforestation et que conformément à celle-ci, elle avait restitué 13 000 hectares de forêt au gouvernement camerounais. Et d’ajouter : « Les plantations sont financées par des ressources internes, dont différentes facilités bancaires et des liquidités. La gestion de la trésorerie du Groupe est indépendante de Sinochem, tout comme ses opérations. »

Des investissements dans d’autres entreprises agro-industrielles sujettes à polémique telles que Sinar Mas et Jardine Matheson amènent le montant des accords passés depuis 2016 par Bank of China avec des sociétés connues pour leur responsabilité dans la déforestation à 4,67 milliards de dollars, d’après les estimations. En tenant compte de la part de l’activité de ces sociétés dédiée à des secteurs associés à un risque de déforestation, la banque chinoise aurait pu dégager près de 111 millions de dollars de marchés associés à un risque de déforestation.

Global Witness a contacté la banque pour recueillir ses commentaires mais celle-ci n’a pas répondu.

Les banques chinoises dans leur ensemble ont conclu des contrats d’une valeur supérieure à 47,3 milliards de dollars avec des sociétés connues pour leur responsabilité dans la déforestation sur les cinq années pour lesquelles nous avons analysé des données. Les géants du secteur bancaire que sont ICBC, Agricultural Bank of China et China Construction Bank s’avèrent tous avoir été fortement exposés à des entreprises agro-industrielles sujettes à controverse.

Stopper la perte de forêts tropicales mondiales est crucial pour lutter contre le changement climatique effréné. Des études démontrent que la déforestation tropicale, responsable de huit pour cent des émissions mondiales de CO2, a fortement contribué à la hausse des températures mondiales et à la perte de biodiversité.

Le secteur de la finance ne peut plus être perçu comme un simple spectateur de la destruction forestière. Il est de plus en plus évident que les banques jouent un rôle fondamental en permettant, en encourageant et en profitant de la déforestation. Ce rapport démontre clairement qu’elles concluent en permanence des accords avec des entreprises responsables de déforestation. Il révèle combien ces accords sont lucratifs, et montre que les beaux discours « verts » ne sont pas suivis d’actes. Les efforts consentis par les banques pour légitimer, voire permettre la destruction des forêts entravent les initiatives courageuses des peuples autochtones et des communautés locales pour défendre leurs forêts, leurs foyers et leurs moyens de subsistance.

Le prix à payer

Les mesures prises par le secteur bancaire pour s’attaquer à son empreinte déforestation au moyen d’une autorégulation et de politiques volontaires sont insuffisantes. Les banques continuent d’entretenir des relations lucratives avec des entreprises agro-industrielles dont l’impact préjudiciable sur les forêts et les communautés est bien documenté. Nous en payons tous le prix, mais plus particulièrement les communautés qui sont tributaires des forêts à travers le monde.

Nous estimons que les accords mis en évidence par notre organisation n’auraient jamais été conclus si les mécanismes d’évaluation environnementale des banques fonctionnaient ou si celles-ci devaient rendre compte de leurs dysfonctionnements. Une grande partie, pour ne pas dire la totalité des quelque 1,74 milliard de dollars de revenus que les banques auraient dégagés des activités de leurs clients aux effets destructeurs pour la forêt pourrait être perçue comme revenant légitimement aux communautés que l’on a privées de leurs terres et de leurs forêts. Éliminer le droit de profiter de la déforestation aiderait à mettre fin au rôle que joue le secteur financier en promouvant la destruction des forêts dont nous dépendons tous. Une réglementation gouvernementale des principaux centres financiers est donc essentielle pour freiner le financement de la destruction forestière.

Systémique, fréquent et constant

Il y a encore cinq ans, il était rare que leurs liens avec des entreprises impliquées dans la déforestation vaillent aux banques de faire la une de l’actualité. Mais aujourd’hui, le grand public, les parlementaires et les communautés affectées sont moins enclins à se laisser amadouer par leurs promesses et leurs engagements. De plus en plus de voix s’élèvent pour faire valoir l’obligation de rendre compte de ses actes. Ce rapport montre que l’apport de fonds qui sous-tend la destruction forestière et les atteintes aux droits humains connexes n’est pas chose rare– il s’agit d’un phénomène systémique, fréquent et constant. Tandis que les banques s’évertuent à conserver les gains illégitimes qu’elles dégagent des marchés conclus avec les acteurs de la déforestation, il est inévitable qu’elles s’exposent aux demandes de réparation des communautés affectées.

Et au cours des cinq prochaines années, les institutions financières continueront probablement de profiter des accords conclus entre 2016 et 2020.

Les principaux responsables de la déforestation peuvent compter sur un appui financier pendant de nombreuses années

Chaque point indique la date de maturité des prêts, des facilités de crédit ou de la détention d’actions et d’obligations

2020
2025
2030
2035
2040
2045
2050
Noble Group
IOI Group
COFCO
Jardine Matheson Group
Sinar Mas Group
Wilmar
Olam International
SLC Agricola
Salim Group
Royal Golden Eagle Group
Genting Group
JBS
Minerva
Marfrig
Sinochem Group
Cargill
Brookfield Asset Management

Recommandations

Il est primordial que les institutions financières soient tenues de rendre compte des profits qu’elles retirent de la destruction des forêts. Tous les gouvernements, mais plus particulièrement ceux des principaux centres financiers, à savoir de l’UE, du Royaume-Uni, des États-Unis et de la Chine, doivent veiller à la mise en œuvre d’une réglementation efficace des institutions financières et des entreprises pour mettre fin à leur complicité dans la déforestation de la planète.

Les institutions financières doivent :

  • Apporter réparation et recours aux communautés et écosystèmes affectés lorsqu’elles ont provoqué, contribué ou été directement liées à la déforestation et aux atteintes aux droits humains.
  • Mettre fin aux pratiques financières secrètes qui privent les communautés locales de leur droit à savoir quelles entreprises ou acteurs financiers cherchent à profiter d’activités dans leur région.
  • Divulguer ce qu’elles comptent faire des revenus tirés des contrats passés ou des investissements réalisés dans des entreprises associées à la déforestation et aux atteintes aux droits humains connexes.
  • Soumettre à un devoir de vigilance rigoureux les entreprises qui opèrent dans des secteurs présentant un risque pour les forêts, notamment en exploitant les données communautaires vérifiées sur le terrain.
  • Publier des listes des entreprises à exclure et des zones interdites où les risques en matière de déforestation et d’atteintes aux droits humains ne peuvent être atténués.
  • Plafonner, réduire et renoncer aux industries exigeant d’importantes superficies foncières, et appuyer la transition vers des systèmes agricoles locaux durables.
  • Adopter et appliquer une tolérance zéro face aux actes de représailles et aux attaques visant des défenseurs de l’environnement et des droits fonciers, à l’acquisition illégale de terres et aux atteintes au principe du consentement libre, informé et préalable (CLIP) des communautés affectées. 

Les gouvernements doivent :

  • Exiger de toutes les entreprises, y compris des institutions financières, qu’elles respectent le principe du consentement libre, informé et préalable (CLIP) des communautés affectées.
  • Adopter une législation permettant de lutter contre toutes les formes de déforestation et les préjudices environnementaux connexes, sans se limiter à ceux qui constituent des actes illégaux en vertu des législations locales.
  • Examiner tous les produits qui encouragent la déforestation, y compris, mais sans s’y limiter, l’huile de palme, le soja, le caoutchouc, le bétail et les produits dérivés.
  • Imposer un devoir de vigilance rigoureux et précis à toutes les entreprises, y compris aux institutions financières, ainsi qu’une application effective des législations et des pénalités.
  • Veiller à ce que les communautés aient la possibilité de réclamer un recours et une réparation.
  • Ne pas se fier aux initiatives qui rendent compte du risque climatique sans pour autant disposer de mesures de responsabilisation efficaces à l’égard de la déforestation.

Lorsque cela était pertinent, nous avons inclus les réponses des entreprises et des banques dans le corps principal du présent rapport. Nous avons également posé des questions supplémentaires aux entreprises et institutions financières ; leurs réponses sont synthétisées ci-après.

Barclays a déclaré : « Si nous estimons qu’un client est associé à des allégations relatives à des impacts environnementaux ou sociaux préjudiciables qui sont contraires aux exigences de nos politiques, nous nous rapprochons de ce client et consultons d’autres sources expertes selon les besoins afin d’enquêter sur les allégations et de veiller au respect des exigences visées par nos politiques. »

Barclays a rejeté l’idée qu’elle facilitait la déforestation et s’abstenait de soumettre ses clients à des contrôles appropriés, faisait référence à une exigence selon laquelle ses clients doivent interdire la dégradation des terres abritant des forêts primaires ou protégées.

Standard Chartered a affirmé qu’elle prenait au sérieux les allégations de conformité inadéquate à ses politiques de durabilité et qu’elle enquêterait sur les propos de Global Witness. Ses politiques interdisent de fournir des services financiers aux clients qui aménagent des plantations ou des fermes d’élevage qui détériorent les terres abritant des forêts primaires ou protégées.

NatWest n’a fait aucun commentaire.

Prudential a déclaré : « Nous savons que l’un des principaux moteurs de la déforestation est le fait que la valeur financière des services écosystémiques, fournis par les puits de carbone naturels tels que les forêts tropicales, n’est pas prise en compte de manière appropriée dans les bases de données servant actuellement à mesurer la valeur financière.

Nous nous rapprochons des ONG et des réseaux industriels pour appuyer des politiques qui ont un impact positif sur la nature ainsi qu’un changement de comportement ; nous recourons aussi pour cela aux pratiques d’entreprise en matière de durabilité et d’engagement des employés » 

Schroders a affirmé : « Nous reconnaissons que des phénomènes tels que la déforestation, les changements dans l’utilisation des sols, l’intensification de l’agriculture, la surpopulation, le changement climatique et la pollution contribuent à l’appauvrissement de la biodiversité, et nous nous rapprocherons des entreprises lorsque nous estimons qu’elles exercent des pratiques non durables. Nous n’avons pas peur d’agir lorsque nos préoccupations le justifient. » 

ABN Amro a précisé : « En août 2020, ABN AMRO a annoncé qu’elle recentrait son activité de services bancaires aux entreprises et aux institutionnels. ABN AMRO est en train de réduire ses activités de services bancaires proposés aux entreprises à l’extérieur de l’Europe du Nord-Ouest. Les activités de financement du commerce et des matières premières seront totalement supprimées (…). »

« Nous reconnaissons le rôle crucial que jouent les forêts dans la promotion de la biodiversité, pour empêcher les changements climatiques dangereux et assurer la subsistance des communautés. Il est indéniable que l’agriculture et les activités connexes contribuent à la perte d’espaces forestiers naturels. Par conséquent, ABN AMRO dispose d’un cadre politique dédié au risque en matière de durabilité et a formulé des exigences minimales s’appliquant aux clients du secteur agro-industriel (...). »

« Nous estimons qu’en nous rapprochant de nos clients, plutôt qu’en les excluant complètement, nous pourrons mieux contribuer à empêcher la déforestation et la dégradation des forêts (…). »

« Nous rejetons l’affirmation selon laquelle ABN AMRO a généré ‘des revenus illégitimes’ de ses activités commerciales dans le secteur des produits agricoles. »

Santander a déclaré : « Bien que nous ne soyons pas en mesure d’émettre de commentaires sur des clients particuliers, nous pouvons vous assurer que nous comprenons nos responsabilités en tant que banque de premier plan dans la région et que nous nous engageons à agir en tant que force progressiste et à appuyer le développement durable. La protection de l’Amazonie est cruciale pour faire face au changement climatique (…). »

« À l’avenir, nous attendrons de nos clients du secteur de la transformation de la viande bovine de l’Amazonie qu’ils disposent d’une chaîne d’approvisionnement entièrement traçable et sans impact sur la déforestation à l’horizon 2025, y compris les fournisseurs indirects de bétail, et il s’agira là d’une condition à remplir pour obtenir un crédit. »

La banque a ajouté qu’elle étudiait soigneusement tout client brésilien opérant dans le secteur de la culture ou de l’élevage afin d’identifier d’éventuels liens avec la déforestation illégale, des incursions sur des terres autochtones ou un travail forcé. Santander a également précisé qu’elle était l’un des membres fondateurs de la Table ronde sur le soja responsable et de la Table ronde brésilienne sur l’élevage durable (GTPS en portugais).

Vanguard a affirmé : « Au nom des fonds Vanguard et de ses investisseurs, l’équipe de gestion des investissements (Investment Stewardship) de Vanguard opère là où se rejoignent la gouvernance d’entreprise, le risque environnemental et le risque social, cherchant à promouvoir et à préserver la valeur à long terme pour ses actionnaires. L’équipe se rapproche régulièrement des cadres et des conseils d’administration, y compris en menant des discussions avec les entreprises pertinentes sur le thème de la déforestation et des risques qu’elle fait peser sur la durabilité des entreprises à long terme. Si une entreprise n’améliore pas sa gestion de ce type de risques, nous exigerons qu’elle rende compte de ses actes afin de protéger la valeur à long terme pour nos investisseurs. »

ING Bank a indiqué : « Chez ING, nous reconnaissons que les banques ont un rôle à jouer pour contribuer à protéger les écosystèmes et la biodiversité mondiale. »

La banque a précisé que son approche en matière de biodiversité et sa position à l’égard de la déforestation pouvaient être consultées sur son site public, ajoutant : « Les clients d’ING qui font le commerce et/ou cultivent des produits agricoles sont évalués par rapport à notre politique relative au risque environnemental et social (ESR) – y compris les sections Climat (p. 27) et Droits humains (p. 23), ainsi que par rapport à la politique touchant spécifiquement au secteur des Produits forestiers et agricoles (p. 48). »

La banque a indiqué qu’en vertu des Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE et du manuel de l’OCDE sur le Devoir de diligence pour le prêt d’entreprise et la souscription de titres, elle serait « liée » plutôt qu’elle ne « contribuerait » aux impacts préjudiciables causés par ses clients. Elle a ajouté : « Une banque devrait dans de tels cas se rapprocher [du client] pour tenter de répondre aux comportements sérieusement répréhensibles, ce que nous faisons. »

Silchester a déclaré : « Silchester n’a pas de relations directes ou indirectes avec le groupe Sinar Mas et toute affirmation contraire est fausse et trompeuse (…). Les clients de Silchester ont investi dans Golden-Agri Resources. Golden-Agri est cotée à la bourse de Singapour (…). L’achat de titres cotés en bourse est fondamentalement différent de services consistant à fournir des prêts, à acheter des obligations ou à réaliser d’autres activités financières (…). Une entreprise ne perçoit aucun nouveau financement quand un actionnaire achète des actions à un autre actionnaire.

Silchester a encouragé le conseil d’administration [de Golden Agri] à tenir compte des facteurs ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance] dans ses plans d’affaires. Nous avons demandé à l’entreprise d’être transparente avec tous ses partenaires sur ces questions (…). Silchester s’attend à ce que toutes les entreprises de son portefeuille, y compris [Golden Agri], respectent les lois et réglementations locales de chaque pays où elles opèrent. » 

Les groupes Felda, Noble et Oji, bien qu’inclus dans nos séries de données financières sur les entreprises agro-industrielles liées à la déforestation, ne sont pas abordés de manière détaillée dans les études de cas du présent rapport. Global Witness a néanmoins contacté ces trois groupes pour recueillir leurs commentaires sur les rapports publics qui les associent à la déforestation :

Noble Group Holdings Limited a expliqué que l’entreprise avait été restructurée et qu’elle devrait désormais être considérée comme une entité distincte de son prédécesseur, Noble Group Ltd (NGL), en cours de liquidation. Elle a affirmé que les filiales de NGL axées sur l’huile de palme avaient été vendues ou s’étaient mises en insolvabilité volontaire. Un porte-parole a ajouté que les filiales huile de palme de NGL se trouvaient en grande partie sur « des forêts secondaires » et qu’elles ne contenaient pas de tourbières, reconnaissant toutefois qu’une filiale avait « effectivement défriché une partie de la forêt primaire (1 058 hectares) par erreur ». Concernant les banques, le porte-parole a déclaré qu’elles « ont (entre autres) fourni à Noble un financement commercial, des lettres de crédit, des lettres de crédit standby, des services de courtage, et ainsi de suite ; et elles ont pu, de temps à autre, avoir souscrit des obligations Noble. Cependant, les investissements dans l’activité huile de palme ont été financés par Noble avec ses revenus non répartis. Aucune banque n’a fourni de financement direct en vue de l’acquisition d’investissements dans l’huile de palme ou de la poursuite d’opérations dans cette filière, [par conséquent le fait d’] essayer d’établir un lien entre ces banques et les investissements de Noble dans les produits agro-industriels (…) est un argument extrêmement faible. »

FGV Holdings Berhad (FGV) [Felda Group] a déclaré à Global Witness que « FGV s’engage fermement en faveur de pratiques ‘Pas de déforestation, pas de tourbière et pas d’exploitation’ (NDPE). Cet engagement est ancré dans la politique de durabilité du groupe (GSP) de FGV, qui est le cadre global régissant l’agenda durabilité de FGV ». Un porte-parole a ajouté que les déclarations relatives à un défrichage qu’aurait pratiqué sa filiale PT Temila Agro Abadi (PTTAA) étaient fausses et qu’un expert indépendant n’avait identifié « aucune déforestation de forêts naturelles ». La société a ajouté qu’une autre filiale s’était vu délivrer une « ordonnance d’arrêt de travail » suite à un signalement relatif à des activités de déforestation dans sa concession.

Oji Group a affirmé à Global Witness que contrairement aux affirmations, sa filiale huile de palme « n’a jamais pratiqué le brûlis pour défricher des terres » et que son opération est « non seulement conforme à la loi forestière indonésienne », mais aussi qu’elle « dispose de certifications forestières du FSC et du PEFC pour améliorer son système de gestion, afin de prendre en compte la société et l’environnement ».

Global Witness a chargé Profundo, spécialiste des questions de durabilité et des chaînes d’approvisionnement, de lui fournir des données sur les flux financiers dirigés vers les entreprises agro-industrielles citées dans ce rapport, ainsi que vers les groupes dont font partie ces entreprises, les outils de financement de ces groupes et leurs filiales concernées. Ces entreprises agro-industrielles ont été sélectionnées parmi la base de données Forests and Finance d’après des recherches documentaires sur des allégations étayées faisant état d’une complicité dans la déforestation.

Pour la récolte de données financières, cette recherche s’est appuyée en priorité sur des bases de données financières, notamment celles de Bloomberg et de Thomson Reuters Eikon, ainsi que sur les rapports des entreprises étudiées. Elle a également impliqué une analyse approfondie des sites Web des entreprises, de leurs rapports annuels, leurs registres, leurs bases de données de types EMIS et Orbis, et d’autres sources de l’industrie.

Le champ de cette recherche pour les activités de crédit s’étend de janvier 2016 à avril 2020. Les actions et obligations ont été examinées sur la période allant de janvier 2016 à décembre 2020

Les données n’ont pas permis d’agréger la valeur des participations au fil du temps sans double comptage, de sorte que le niveau des participations du quatrième trimestre de 2020 a été utilisé pour estimer la valeur totale des investissements.

Calcul de l’ampleur des investissements et des crédits

Les bases de données financières ne contiennent pas toujours le détail des niveaux de contribution individuelle des institutions financières à un accord de financement. Les contributions individuelles des banques à des prêts et des accords de souscription syndiqués ont été documentées de la manière la plus approfondie possible lorsque ces informations étaient disponibles dans les bases de données financières. Dans de nombreux cas, la valeur totale d’un prêt ou d’une opération d’émission de titres est connue, de même que le nombre de banques ayant participé à ce prêt ou à cette émission de titres, mais il faut généralement estimer le montant engagé par chacune de ces banques.

Le calcul de ce montant s’appuie ici sur deux méthodes différentes.

La première emploie le ratio des frais de gestion d’une institution particulière par rapport au montant des frais de gestion perçus par toutes les institutions participantes. Le calcul est le suivant : contribution du participant = ((frais attribués à un participant individuel) / (somme des frais attribués à tous les participants) X montant principal).

Lorsque le montant des frais de gestion est inconnu pour un ou plusieurs des participants à l’accord, nous employons la seconde méthode, appelée le « bookratio ». Le bookratio est utilisé pour déterminer la répartition des engagements des chefs de file (« bookrunners ») par rapport aux contributions des autres gestionnaires, autrement dit la part affectée par chaque banque à un accord auquel plusieurs banques participent. Le chef de file est le principal souscripteur ou coordinateur lors d’une nouvelle émission de dettes ou d’actions. Le calcul se fait ainsi : Bookratio = (nombre de participants – nombre de chefs de file) / (nombre de chefs de file).

Le tableau ci-dessous montre la participation attribuée à des groupes de chefs de file (bookrunners) d’après cette méthode d’évaluation. Lorsque le nombre total des participants augmente par rapport au nombre de bookrunners, la part attribuée aux bookrunners décroît. Cette méthode permet d’éviter des différences importantes entre les montants attribués aux bookrunners et ceux attribués aux autres participants.[4]

Participations attribuées aux groupes de bookrunners

Bookratio       Prêts        Émission de titres

 >1/3                  75%           75% 

 >2/3                 60%           75% 

 >1.5                  40%           75% 

 >3.0                <40%         <75%

Calcul du montant estimé des recettes

Des approches spécifiques ont été employées pour estimer les revenus dégagés par les banques à partir de chaque type d’accord apparaissant dans les données – facilités de prêts et de crédit, souscription, actions et obligations. Veuillez noter que les investisseurs peuvent détenir des actions et des obligations pour leur propre compte ou les gérer pour le compte de tiers ; le montant des recettes liées à ce type d’accords peut donc inclure des recettes destinées à des tiers.

a) Actions : Les gains générés par les changements de valeur des actions ont été estimés au moyen de l’extrapolation des tendances (« momentum analysis »). L’extrapolation des tendances a permis d’identifier le nombre et la valeur des actions détenues chaque trimestre sur une période de cinq ans. La recherche a identifié les intervalles de paiement des dividendes et leur valeur. Elle a ensuite calculé les dividendes perçus par chaque entreprise et chaque institution financière sur la période de recherche.

b) Obligations : Une valeur estimée a été calculée en partant de l’hypothèse que les obligations avaient été détenues pendant cinq ans si elles avaient été émises plus de cinq ans auparavant, ou bien à partir du moment de leur émission jusqu’au moment où la recherche avait été réalisée si les obligations avaient été émises moins de cinq ans plus tôt. Le calcul du produit qu’elles auraient généré a été basé sur le taux du coupon. Étant donné l’absence de données historiques sur les détentions d’obligations, et les obligations étant généralement des investissements à long terme, cela représentait vraisemblablement la méthode d’estimation la plus appropriée.

c) Prêts : Les informations sur les dates de maturité et les taux d’intérêt d’un certain nombre de prêts proviennent de Refinitiv ou Bloomberg, ainsi que des rapports d’entreprises, d’archives médiatiques et d’autres bases de données financières. Le calcul des gains s’appuie sur deux facteurs : les frais de gestion imputés, et les gains dégagés des intérêts perçus. Les frais de gestion imputés sont souvent inclus dans les données transmises par les fournisseurs de données financières. S’ils ne le sont pas, une valeur de remplacement est employée pour le calcul. Cette valeur de remplacement est une moyenne des frais de gestion imputés dans le cas d’accords dont on connaît les frais de gestion perçus pour chaque contribution apportée par l’institution financière, d’où un ratio valeur de l’accord/frais de gestion imputés. Ce ratio est appliqué pour estimer les frais de gestion dans le cas d’accords pour lesquels les frais de gestion imputés ne sont pas enregistrés par le fournisseur de données financières. Les gains dégagés des intérêts sont calculés en fonction de la maturité de l’accord, du taux d’intérêt et de la valeur non encore remboursée à chaque institution financière, ainsi que des données historiques d’accords arrivés à maturité. Lorsque le montant des taux d’intérêt n’est pas connu, les données de la Banque mondiale sur les taux de prêt par pays et par année ont été utilisées. Ce n’est que dans le cas du Brésil que le taux d’intérêt moyen applicable aux emprunteurs brésiliens a été utilisé et ce, en raison d’un écart significatif entre les taux de prêt de la Banque mondiale et ceux qui avaient été enregistrés dans les bases de données financières.

d) Lignes de crédit renouvelable : Les lignes de crédit renouvelable sont une catégorie de prêt qui a fait l’objet de la même analyse que les prêts aux entreprises. Cependant, tandis que les prêts aux entreprises aboutissent sur le compte bancaire des clients d’entreprise, les lignes de crédit renouvelable n’aboutissent pas forcément directement sur leur compte en banque. Il est possible de puiser dans les lignes de crédit renouvelable selon les besoins sur une période donnée, au même titre qu’un consommateur peut utiliser un découvert. Il est ainsi possible de puiser dans les lignes de crédit renouvelable plusieurs fois pendant la période donnée, dans leur totalité ou partiellement. Les entreprises peuvent décider de ne pas utiliser une ligne de crédit renouvelable mise à leur disposition. Les informations publiques disponibles ne permettent pas de savoir si une ligne de crédit renouvelable a fait l’objet de prélèvements, quel était le montant prélevé et le nombre de fois où un montant total ou partiel a été prélevé et remboursé sur la période donnée. Compte tenu de cette c