• Global Witness a réalisé une nouvelle analyse de rapports et d’échanges de correspondance diplomatique fuités qui montre combien le projet hydroélectrique de Sombwe en République démocratique du Congo (RDC) menace les forêts tropicales, les espèces rares et les efforts de conservation dans le parc national de l’Upemba.
  • En submergeant de vastes étendues forestières, ce projet pourrait engendrer l’équivalent de 1,3 million de tonnes d’émissions de CO2 d’ici la fin du siècle.
  • Des groupes de la société civile congolaise ont exprimé leur opposition au projet, soulignant qu’il serait « illégal » et qu’il risquerait d’avoir des répercussions préjudiciables sur les communautés locales.
  • Le constructeur chinois du barrage entretient des liens financiers avec des banques et des sociétés de gestion d’actifs dont Industrial and Commercial Bank of China, Standard Chartered, Société Générale, BlackRock et Vanguard.
  • Ces révélations surviennent alors que des engagements très médiatisés ont récemment été pris à l’égard de la déforestation, des émissions et de la biodiversité lors de la COP26 et de la Conférence de l’ONU sur la Biodiversité 2021 en Chine.

Une nouvelle enquête de Global Witness révèle qu’un barrage hydroélectrique de 500 millions de dollars pourrait enfreindre les législations locales et mettre en péril les forêts et les efforts de conversation de la faune sauvage dans un important parc national congolais.

Le barrage de Sombwe, qui doit servir à fournir de l’électricité aux compagnies minières implantées dans la ceinture de cuivre et de cobalt de la RDC, devrait être construit par le géant chinois du génie électrique, PowerChina. Or il semblerait que ce projet, lié à un homme d’affaires qui aurait été impliqué dans des transactions controversées avec la Banque centrale du Congo, porte atteinte à la loi congolaise relative à la conservation de la nature.

Le barrage de Sombwe doit être construit dans le parc national de l’Upemba, qui abrite une population d’espèces rares en déclin, dont des éléphants de savane et les derniers zèbres que l’on trouve en RDC.

S’il se concrétise, ce projet nécessiterait d’inonder près de 50 km2 de forêts tropicales de zones arides et de savane boisée dans une vallée qui autrefois constituait un couloir de migration vital pour la faune. Cela serait néfaste pour la biodiversité locale, mais aurait aussi des impacts climatiques graves. Une analyse réalisée par Global Witness montre que l’inondation des sols forestiers pourrait entraîner l’équivalent de 1,3 million de tonnes d’émissions de CO2 d’ici la fin du siècle – soit plus que les émissions qui seraient engendrées si l’on incendiait trois millions de barils de pétrole.

Des documents consultés par Global Witness indiquent que les experts commandités par la délégation de l’UE en RDC sont très préoccupés par le choix de l’emplacement du barrage et par son étude d’impact environnemental.

Un courrier au sujet du barrage adressé en novembre 2020 par l’ambassadeur de l’UE en RDC à l’Institut congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) notait son « implantation illégale à l’intérieur du parc d’Upemba, et donc en infraction par rapport à la Loi de conservation de la nature ».

Des études d’accompagnement commanditées par l’UE soulignaient que l’étude d’impact environnemental initiale du barrage contenait des « sérieuses failles », ignorait « les impacts permanents potentiels du barrage, du lac de retenue et des routes d’accès » et méconnaissait le statut de parc national du lieu proposé pour accueillir ce barrage. L’UE est l’un des plus gros bailleurs de fonds des parcs nationaux de la RDC.

Des organisations congolaises de la société civile ont exprimé leur opposition au barrage de Sombwe. En septembre 2021, l’ONG congolaise de défense des droits humains Justicia prévenait également qu’il s’agissait d’une « véritable violation de la loi » qui « risque de priver plusieurs personne habitant les territoires [limitrophes] de leur activité principale qui est la pêche ». En octobre 2021, plus de 200 ONG congolaises et internationales ont signé une lettre ouverte exhortant le gouvernement congolais à éliminer les « activités illégales » dans les parcs nationaux congolais, y compris le projet de barrage de Sombwe.

Le partenaire local de PowerChina en RDC est Kipay Investments, société détenue par un homme d’affaires congolais, Éric Monga. M. Monga, aux côtés d’associés de l’ancien Président Joseph Kabila, aurait été impliqué dans des transactions controversées représentant plusieurs millions de dollars avec la Banque centrale du Congo entre 2013 et 2014.

Kipay Investments a défendu les caractéristiques environnementales du barrage, affirmant qu’il se situerait à l’extérieur du parc national de l’Upemba – mais Global Witness a remis en cause cette affirmation après avoir précisément localisé le projet au sein de la zone protégée à partir de documents officiels et d’entreprises.

Bien que majoritairement détenue par l’État chinois, PowerChina a été soutenue auparavant par des centaines de millions de dollars d’obligations souscrites par des banques chinoises et européennes, dont Standard Chartered et Société Générale. Des sociétés américaines d’investissement parmi lesquelles BlackRock, Vanguard et Dimensional Fund Advisors détiennent également des participations importantes dans cette compagnie.

Ce projet se déroule dans un contexte marqué par les engagements récents très médiatisés en matière de déforestation, d’émissions et de biodiversité qui ont été pris lors du sommet sur le climat de la COP26 au Royaume-Uni et de la Conférence de l’ONU sur la Biodiversité 2021 en Chine. Les dirigeants présents à la COP26 se sont aussi engagés à fournir des fonds d’un montant de 1,5 milliard de dollars afin de protéger les forêts et les tourbières du bassin du Congo.

Nos conclusions sur l’évolution de la situation au sein du parc national congolais de l’Upemba suggèrent que ces déclarations pourraient finalement n’être que de vaines promesses. Elles soulèvent aussi des questions troublantes sur la volonté réelle des entreprises et des banques de réduire l’impact de leurs investissements sur l’environnement.

Global Witness recommande l’arrêt du projet de barrage et l’évaluation de sites alternatifs par PowerChina, ses investisseurs et les autorités de la RDC.

Colin Robertson, enquêteur à Global Witness, a déclaré :

« Notre enquête révèle que ce projet hydroélectrique est préoccupant à de très nombreux titres. Il semblerait qu’il soit contraire à la loi congolaise sur la conservation de la nature, et il menace les forêts et les habitats de la faune protégée. Des questions sérieuses se posent quant à la prise en compte réelle des risques qu’il fait courir à l’environnement et aux communautés locales.

« Le fait d’inonder une partie du parc national de l’Upemba pour construire ce barrage constituerait une catastrophe écologique et laisserait comprendre aux investisseurs que les parcs nationaux de la RDC sont désormais à prendre. Mais le gouvernement congolais et les entreprises et investisseurs impliqués ont encore le temps de stopper ce projet.

« Faisant suite aux promesses que les dirigeants de la planète ont prises à l’égard de la protection des forêts mondiales lors de la récente conférence sur le climat COP26, cette enquête vise à rappeler qu’il leur faut joindre le geste à la parole en exigeant des institutions financières qu’elles contrôlent les impacts en matière d’environnement, de déforestation et de droits humains des entreprises qu’elles financent. Faute de mesures gouvernementales pour empêcher les organismes de financement d’appuyer des projets qui détruisent l’environnement tels que le barrage de Sombwe, certains des engagements pris récemment à Glasgow seront lettre morte. »

Timothée Mbuya, président de Justicia ASBL RDC, a déclaré :

« Le barrage de Sombwe constitue un grand préjudice pour l’une des plus grandes aires protégées en RDC et les espèces animales et végétales rares qui s’y trouvent. Il risque aussi de priver certaines communautés riveraines, qui vit de la pêche, de leur activité principale. Les autorités congolaises devraient ordonner la cessation de ce projet. »