Report | 2 Juillet 2020

Des sanctions, mine de rien

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Mise à jour: le rapport a été modifié le 14 octobre 2020 pour tenir compte des informations complémentaires fournies par Rulvis Congo SAS.

En décembre 2017, Dan Gertler, sulfureux magnat du secteur minier, était face à un problème: les Etats-Unis venaient de le sanctionner pour avoir fait fortune grâce à des "accords miniers entachés de corruption" en République Démocratique du Congo (RDC). Par cette décision, ils entendaient mettre un terme à la lucrative carrière d'intermédiaire de Gertler, spécialisé dans le négoce de contrats entre l'état congolais et certaines des plus grandes multinationales minières au monde.


Les sanctions américaines contre Gertler allaient non seulement détruire sa réputation mais aussi interdire à toute personne, banque ou société américaine de faire affaire avec lui. Dans une économique mondialisée, où la plupart des transactions se font en dollars par le biais de banques américaines, une telle décision signifiait que même des entités non-américaines allaient devoir cesser de travailler avec Gertler. Pour un homme d'affaires international comme lui, ces sanctions auraient dû être l'équivalent d'une condamnation à mort financière.

Pourtant, notre enquête avec la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte enAfrique (PPLAAF) suggère que Gertler aurait réussi à se soustraire aux sanctions américaines et continuerait à opérer librement dans le secteur minier de la RDC. Les liens étroits qui l'unissent à certains individus puissants et influents, en RDC, lui ont peut-être permis de continuer à faire des affaires, tout comme son apparente utilisation d'un réseau international de blanchiment d'argent.

Téléchargez le rapport complet: Des sanctions, mine de rien (PDF, 3.91MB)

Principaux faits

  • Dan Gertler aurait utilisé un réseau international de blanchiment d'argent, déployé de la RDC à l'Europe et Israël, pour échapper aux sanctions américaines. Ce réseau l'a probablement aidé à faire passer des millions à l'étranger et à conserver son accès au secteur minier de la RDC.
  • Deux sociétés congolaises qui pourraient être des sociétés prête-nom contrôlées par Gertler ont secrètement acquis de nouveaux permis d'exploitation minière dans les mois précédant les élections congolaises de 2018. Ces permis ont été accordés par l'entreprise publique minière Gécamines.
  • Des éléments de preuve suggèrent qu'Afriland First Bank a joué un rôle central dans la mise en place de tout montage financier qui aurait permis à Gertler d'échapper aux sanctions américaines.
  • De grandes sociétés minières, notamment ERG et Sicomines, continuent de faire des affaires avec une société probablement encore liée à Gertler, malgré les sanctions américaines à son encontre.
  • Le géant des matières premières Glencore a continué à verser à Gertler des millions d'euros après l'imposition des sanctions.

Gertler en RDC : un bref historique

Gertler a fait fortune en se positionnant comme un intermédiaire incontournable pour tous ceux qui souhaitaient avoir accès au secteur minier de la RDC. Les compagnies minières internationales souhaitant accéder à ce secteur devaient travailler avec Gertler, et beaucoup étaient prêtes à le faire puisque la RDC abrite de nombreuses ressources naturelles précieuses, notamment des diamants, de l'or, du cuivre et du coltan.

La RDC possède également les plus riches gisements de cobalt au monde, un minerai essentiel dans la fabrication des véhicules électriques et autres technologies relatives aux énergies renouvelables, sur lesquelles la plupart des économies vont miser pour tenter de contrer la crise climatique. Ces quinze dernières années, la demande de cobalt a explosé et l'appétit du monde pour les réserves congolaises a suscité beaucoup d’espoir en matière de développement, ainsi que d’importantes recettes pour l’État dans le futur.

Pourtant, malgré ses richesses minérales, la RDC est l'un des pays les plus pauvres du monde : plus de 72 % de la population y vit avec moins de 2 dollars par jour. Les revenus de l’exploitation minière, en raison de la corruption et de la mauvaise gestion, finissent trop souvent sur des comptes bancaires offshore au lieu de bénéficier au Trésor public. Le peuple congolais ne profite donc pas des retombées que les ressources du pays devraient lui apporter.

Gertler, ainsi que d'autres individus et sociétés au sujet desquelles Global Witness et PPLAAF ont trouvé des preuves suggérant des efforts concertés pour se soustraire aux  sanctions ont tous nié avec vigueur toute action en ce sens. Il n'y a pas eu, selon eux, de tentative ou de conspiration pour échapper aux sanctions, mais simplement des opérations commerciales légitimes, sans lien avec Gertler ou une volonté de se soustraire aux sanctions. Glencore, Sicomines et ERG nient également avoir commis tout acte répréhensible ou avoir fait des affaires avec Gertler en violation des sanctions américaines.

Le gouvernement de la RDC, les autorités compétentes des autres juridictions concernées et les entreprises multinationales doivent agir maintenant pour garantir que les revenus du secteur minier de la RDC soient gérés de manière responsable. Ces revenus devraient profiter au peuple congolais et contribuer au financement d'infrastructures et de services publics indispensables, au lieu d'être détournés au profit de quelques hommes d'affaires et hommes politiques.

Recommandations

    • Le gouvernement de la RDC doit adopter des mesures conservatoires contre Gertler et ordonner la saisie et le gel de tous les biens lui appartenant.
    • La RDC doit également mettre un terme et rendre publiques toutes les affaires conclues avec Gertler, et commander un audit indépendant de toutes les sociétés minières publiques, y compris la Gécamines.
    • Les autorités américaines doivent enquêter sur tous les individus qui ont aidé ou facilité le contournement des sanctions par Gertler, ainsi que sur ceux qui continuent à faire des affaires avec lui. S'il est avéré que ces individus ont violé le droit américain, elles doivent prendre des mesures à leur encontre lorsque des preuves d'actes répréhensibles sont trouvées.
    • L'UE doit combler les lacunes qui lui ont permis de devenir un refuge pour l'argent sale lié à Dan Gertler en s'assurant que le régime de sanctions « Magnitsky » qu'elle propose inclut la corruption parmi ses critères. Elle doit aussi renforcer la législation sur la propriété des entreprises et la divulgation de la propriété effective.
    • Les sociétés minières internationales doivent cesser toute activité commerciale avec Gertler et tout paiement à son ordre; elles doivent être tenues responsables par les agences gouvernementales compétentes dans le monde entier, pour toute transaction menée avec Gertler.


    Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi. Global Witness décline toute responsabilité en cas de dommage ou préjudice causé par des erreurs, des imprécisions ou des incompréhensions de traduction.

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