Blog | 10 Août 2018

Gertler a reçu et distribué des millions de dollars de pots de vin à l'occasion de tractations minières en RDC, selon des documents judiciaires

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De nouveaux documents se rapportant à une affaire traitée par la Cour Suprême britannique suggèrent que Dan Gertler, l'intermédiaire controversé, a reçu et payé des millions de dollars de pots de vin au nom de la Corporation des Ressources Naturelles Eurasienne (Eurasian Natural Resources Corporation, ENRC) en République Démocratique du Congo (RDC). Depuis 2011, Global Witness a régulièrement mis en question la légitimité des tractations menées par Gertler au nom d'ENRC. Les nouvelles preuves renforcent ces investigations pionnières.

Le Bureau des Fraudes Graves (Serious Fraud Office, SFO) du Royaume Uni enquête sur l'ENRC depuis plus de cinq ans, et pendant tout ce temps la compagnie a cherché à empêcher la publication des résultats d'une enquête interne effectuée par ses anciens avocats, Dechert. L'ENRC a même engagé une procédure judiciaire contre Dechert pour contester une facture de 16 millions de livres ; ironiquement, c'est cette affaire qui a révélé les nouveaux éléments incriminateurs quant aux tractations d’ENRC avec Gertler.

L'ENRC affirme que Dechert a excédé son mandat, lui reprochant d'avoir rendu publiques trop d'observations, et d'avoir fourni des éléments d'information à la SFO et même aux médias. Dechert et ses avocats nient ces points, et les documents soumis pour leur défense auprès de la Cour Suprême font apparaitre des détails stupéfiants de l'enquête effectuée par Dechert au sein de l'ENRC. Dechert disent qu'ils ont trouvé "des preuves suggérant fortement la pratique répandue de fraude, de corruption, d'infractions  et autres malversations, et ce jusque dans les échelons les plus élevés de la direction de l'ENRC », dont ils ont estimé qu'elles devaient être rapportées par l'ENRC au SFO pour éviter d'avoir à affronter une enquête pénale.

Les paiements à et par l'intermédiaire de Gertler intéressent particulièrement les avocats. A propos d'un montant de 165 millions de dollars sur un prêt de 400 millions de dollars à Camrose, la compagnie de Gertler, Dechert disent s'être posé des « questions sur ce qui s'est passé et ce qui a été comptabilisé… y compris l'autorisation des paiements et la visibilité des paiements (résultant de l'intervention de M. Gertler). » Ce manque de clarté était en partie dû à l'utilisation de billets à ordre, un type légal de reconnaissance de dette qui peut être encaissé auprès d'une banque et qui ne fait pas apparaître le nom du bénéficiaire. Selon les documents judiciaires, quand Dechert s’est enquis des raisons du recours à des billets à ordre, on leur a dit que c'était parce qu'un membre de la direction d'ENRC « ne voulait pas savoir qui était le destinataire final ».

Un paiement de 35 millions de dollars, non comptabilisé, méritait une attention particulière. Après avoir demandé des explications aux cadres de l'ENRC quant à ce paiement, Dechert conclut que « il y avait des motifs raisonnables de penser que le but véritable du paiement de 35 millions de dollars, qui provenait du siège de l'ENRC à Londres, était de permettre à M. Gertler de verser des pots de vin à de hauts fonctionnaires de la RDC… et que l'ENRC était potentiellement responsable pénalement pour ce motif. » Le document indique que c'est la banque suisse Compagnie Bancaire Helvétique (CBH) qui a servi à verser des « pots de vin » avec ces 35 millions de dollars.

L'ENRC a rejeté les allégations de corruption dans ses tractations, et l'avocat de la compagnie a déclaré à Bloomberg que l'affaire opposant SFO à ENRC devrait être close.

Mais les nouvelles révélations sont fracassantes, et il y a matière à se demander si le but poursuivi par l'ENRC n'est pas d'entacher de doutes le rapport établi par Dechert et de retarder les investigations du SFO. Le SFO n'a pas encore assigné l'ENRC ou ses cadres en justice, et cette affaire pourrait traîner pendant des mois ou même plus longtemps. Il est essentiel que la tactique de sabotage d'ENRC n'empêche pas la compagnie et son personnel d'être tenus pour dûment responsables de toute malversation éventuelle.

D'autres grandes compagnies ont subi des préjudices après avoir recouru aux services de Gertler, qui a été sanctionné par les Etats-Unis en décembre dernier pour « des pratiques de corruption dans des tractations concernant l'industrie minière et le pétrole » en RDC. En 2016, le fonds de couverture états-unien Och-Ziff a admis son rôle dans une vaste entreprise de corruption en Afrique et a conclu un accord de cessation des poursuites avec le Ministère de la Justice, s'acquittant au passage du paiement de plus de 400 millions de dollars pour solder cet accord. On a communément estimé que le partenaire d'Och-Ziff en RDC était Gertler. Les preuves apportées par les autorités états-uniennes montraient que le partenaire d'Och-Ziff avait versé des pots de vins substantiels à de hauts fonctionnaires congolais pour obtenir des droits d'exploitation minière. Gertler n'a pas été accusé dans cette affaire et le Wall Street Journal a signalé que le porte-parole de Gertler avait nié ces allégations.

Glencore, le géant de l'extraction minière et des matières premières, entretenait depuis 10 ans des relations de partenariat avec Gertler, mais il a cherché à s'en distancer à la suite de l'affaire Och-Ziff et des sanctions prises contre Gertler. Cela n'a pas empêché les médias de publier des articles suggérant que la SFO se préparait à poursuivre Glencore. Puis, en juillet, le Ministère de la Justice des Etats-Unis a diligenté une assignation à comparaître ; les deux événements ont causé une chute brutale du cours des actions de Glencore, et la possibilité d'investigations multi-juridictionnelles plane au-dessus de la compagnie.

Gertler a systématiquement nié toute malversation dans toutes ses transactions en RDC. Glencore a de son côté réfuté les allégations de corruption dans les affaires les liant à Gertler.

L'intégrité du système financier global dépend des régulateurs visant à débusquer les comportements criminels, y compris les actes de corruption à l'étranger. Il est choquant que les trois compagnies mentionnées ici - ENRC, Glencore et Och-Ziff - sont ou étaient des compagnies de premier plan, cotées à Londres ou à New York (l'ENRC était cotée à Londres à l'époque de ces tractations et de l'enquête menée par la SFO, même si par après, elle s'est retirée de la cote et a quitté le Royaume-Uni). Le magazine Private Eye décrit l'affaire ENRC comme « peut-être la plus grande défaillance intervenue depuis la création de l'autorité de régulation de la City ».

Le fait que les bourses échouent à réguler correctement le comportement des compagnies ne doit pas se doubler de l'échec des autorités compétentes à agir contre les auteurs de malversations. Et les tribunaux ne devraient pas non plus être utilisés à mauvais escient par les compagnies pour retarder ou entacher de doutes des investigations légitimes. Les recherches effectuées sur les tractations de Gertler durent depuis 2011 au moins ; elles doivent aller jusqu'au bout.


Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi. Global Witness décline toute responsabilité en cas de dommage ou préjudice causé par des erreurs, des imprécisions ou des incompréhensions de traduction.

Contacts

  • Peter Jones

    Campaign Leader, Corruption Investigations

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