De grandes entreprises, dont Apple, Tesla et Intel, s’appuient sur un programme d’approvisionnement en minerais responsables qui serait utilisé pour blanchir des minerais provenant de la République démocratique du Congo (RDC), comme le suggèrent de nouvelles preuves.

Pour s’approvisionner de façon responsable en étain, en tantale et en tungstène (les métaux dits « 3T ») dans la région africaine des Grands Lacs, de nombreuses entreprises ont recours au programme ITSCI. Cependant, Global Witness a mis au jour des preuves convaincantes qu’ITSCI permettrait de blanchir des minerais extraits de mines contrôlées par des milices ou faisant travailler des enfants, ainsi que des minerais issus du trafic ou de la contrebande.

Ainsi, l’enquête a révélé que dans une certaine zone minière, 90 % des minerais ayant intégré le programme au cours du premier trimestre 2021 ne provenaient pas de mines validées, c’est-à-dire respectant les normes en matière de sécurité et de droits humains. Une importante partie de ces minerais était en effet liée à des conflits et à des violations des droits humains. Global Witness a recensé des problèmes similaires de contamination de la chaîne d’approvisionnement dans 10 autres lieux, suggérant que les défaillances du programme ITSCI seraient de nature systémique.

« Nos conclusions suggèrent que le programme auquel se fient de nombreuses sociétés internationales pour empêcher les minerais de conflit d’intégrer leurs chaînes d’approvisionnement a très manifestement échoué », déclare Alex Kopp, de Global Witness.

Ce sont là des problèmes qu’ITSCI aurait, selon le nouveau rapport de Global Witness, minimisés et ignorés. ITSCI est gérée par deux influentes associations du secteur de l’étain et du tantale, International Tin Association (ITA) et Tantalum-Niobium International Study Center (TIC), qui représentent de nombreuses sociétés comptant parmi les plus grands acheteurs de minerais « 3T » de la région. Ceci laisse penser qu’il est en proie à un troublant conflit d’intérêts inhérent au système.

L’enquête révèle qu’en faisant concurrence à un autre système de diligence raisonnable, ITSCI a probablement contribué à un climat de grande instabilité dans une des régions minières. Cette situation aurait alors attisé les tensions entre les exploitants artisanaux et une société minière, donnant lieu à une flambée de violences mortelles.

Les preuves laissent également penser que Chris Huber, un homme d’affaires suisse sous le coup d’une enquête judiciaire pour crimes de guerre en RDC, aurait utilisé le programme ITSCI pour blanchir des minerais de contrebande, et ce, par l’intermédiaire d’au moins trois entreprises basées au Rwanda. Des sociétés liées à cet homme d’affaires et à son partenaire commercial, John Crawley, ancien président du TIC, semblent également avoir bénéficié de centaines de tonnes de coltan frauduleux, probablement blanchi via le système ITSCI dans la région de Rubaya, en RDC.

« Tout programme de diligence raisonnable est voué à l’échec si ce sont des intérêts puissants qui guident les décisions, déclare Alex Kopp. Tant qu’ITSCI est supervisée par ceux qui tirent des bénéfices de cet accès à l’étain, au tantale ou au tungstène, les dysfonctionnements se poursuivront. Les fonderies, les entreprises opérant en aval et les autres programmes sectoriels ne devraient pas s’appuyer sur ITSCI. Bien plus, les sociétés doivent vérifier scrupuleusement leurs chaînes d’approvisionnement et prendre des mesures. Les pouvoirs publics, quant à eux, doivent les placer face à leurs responsabilités. »

Le rapport appelle donc les entreprises à prendre des mesures, mais aussi les pouvoirs publics à améliorer la règlementation et les juridictions clés à appliquer la loi tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Il exhorte les États-Unis à réformer et à faire appliquer sa règlementation sur la diligence raisonnable (section 1502 de la loi Dodd–Frank) et appelle l’UE et ses États membres à combler les lacunes de son règlement sur les minerais de conflit et à imposer des règles strictes de diligence raisonnable pour les entreprises.

En réponse aux questions de Global Witness, ITSCI a nié que ses chaînes d’approvisionnement étaient fortement contaminées ainsi que toute contamination avec des minerais contribuant à des conflits armés et au travail des enfants. Elle a également rejeté toute responsabilité dans la flambée de violences observée autour de Rubaya et contesté tout conflit d’intérêts. Chris Huber, quant à lui, a démenti toute relation avec des entreprises accusées de contrebande. John Crawley, lui, a contesté tout lien avec les sociétés achetant des minerais frauduleux provenant de la région de Rubaya. Les sociétés internationales ayant recours à des minerais « 3T » en provenance de la région en question, dont Apple et Intel, ont réaffirmé leur engagement à s’approvisionner auprès de sources responsables.