Blog | 14 Août 2017

« La Rivière d’Or » – un an plus tard : des mots, mais pas d’actes

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En juillet dernier Global Witness a publié « La Rivière d’Or », un rapport qui révèle qu’une compagnie chinoise a distribué des fusils d’assaut AK-47 et a versé de l’argent à des groupes armés locaux pour s’assurer l’accès à de riches gisements aurifères pendant un boom dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Un an plus tard, force est de constater l’absence de mesures concrètes prises pour endiguer la corruption généralisée et le manque de transparence dans le secteur aurifère. Et ce en dépit des preuves indisputables fournies à l’appui dans le rapport de Global Witness.

Nous avons pu déterminer qu’une partie de l’or avait été vendu à l’international à deux compagnies à Dubaï, tandis que les fonctionnaires congolais chargés de contrôler le secteur minier fermaient les yeux ou, pire, étaient directement impliqués dans la corruption liées au boom. 

En RDC

Les réactions ne se sont pas faites attendre en RDC. L’histoire a fait le tour des chaînes de radio du pays.

S’est ensuivie une grève de deux jours à Shabunda, la ville à l’épicentre du boom d’or, car la population locale réclamait la suspension de la compagnie chinoise – demande d’ailleurs reprise dans une lettre rédigée par des chefs locaux. Suite à cela, une déclaration rédigée par la société civile a appelé l’État à mettre de l’ordre dans le commerce de l’or. À Kinshasa, les diplomates ont commencé à poser des questions.

Le ministre national des Mines de la RDC est passé à l’action. Il a annoncé sa volonté d’« assainir réellement le secteur minier ». Une équipe gouvernementale anti-fraude a été déléguée pour enquêter. Des gardes à vue ont suivi : en octobre deux fonctionnaires de l’Etat congolais, un ancien ministre provincial ainsi qu’un citoyen Français, actionnaire et représentant la compagnie chinoise Kun Hou Mining, ont été interrogés à Kinshasa. Des mineurs locaux à Shabunda ont rapporté que la levée illégale de taxes avait décliné à mesure que la surveillance avait augmenté.

La population a attendu que justice soit rendue.

Mais le peuple a été déçu. Un an après la publication de notre rapport, malgré les discussions et les enquêtes, il n’y a pas eu de véritable changement dans le secteur aurifère artisanal dans l’est de la RDC.

Le rapport de l’équipe d’enquête n’a jamais été rendu public. Détenus pendant quelques courtes semaines à Kinshasa, les quatre personnes ont finalement été libérées sans aucune explication et deux d’entre eux – les deux fonctionnaires miniers Congolais – sont retournés à leurs postes respectifs. Kun Hou Mining a discrètement déplacé ses opérations vers un autre territoire dans la même province. Les compagnies basées à Dubaï n’ont pas réagi à notre rapport.

Des enquêtes telles que « La Rivière d’Or » révèlent le véritable coût de nombre des ressources sur lesquelles sont bâties nos industries et nos économies. Des révélations telles que celles-ci devraient constituer l’impulsion pour un changement systémique à la fois au niveau local et international dans les chaînes d’approvisionnement aurifères. Lorsque ce n’est pas le cas, cela a des répercussions négatives sur les efforts locaux et internationaux pour mettre en place un commerce responsable dans les chaînes d’approvisionnement dans l’est de la RDC, mais aussi bien au-delà.

Au niveau local, l’absence de réforme témoigne de la rupture complète du contrat social entre l’État congolais et son peuple. Les revenus issus des ressources naturelles ne sont pas gérés de façon responsable ni utilisés pour fournir des biens et des services dont la population manque cruellement – un phénomène qui ne se cantonne pas au Sud-Kivu mais s’étend jusqu’au sommet de l’État.

Depuis juillet 2016, date de publication de notre rapport, gouverneur de Sud-Kivu Marcellin Cishambo, a bloqué de façon répétée tous les efforts entrepris pour incriminer les individus ayant commis des fautes pointées dans « La Rivière d’Or ». Cishambo a délibérément ignoré à au moins deux reprises  les instructions du ministre National des Mines qui souhaitait suspendre Kun Hou Mining. Le magazine Jeune Afrique a dévoilé que Cishambo avait réclamé en décembre 2015 une avance de 90 000 $ US à Kun Hou pour ses opération au cours de l’année 2016 – c’est-à-dire qu’il avait non seulement ignoré l’ordre de suspendre la compagnie mais avait activement cherché à gagner de l’argent par le biais de cette même compagnie . En 2017, lorsque le gouvernement à Kinshasa a ouvert une nouvelle enquête pour mauvaise gestion par John Tshonga, un des fonctionnaires miniers détenus dans le cadre du scandale Shabunda, Cishambo a plaidé pour que ledit fonctionnaire soit maintenu en poste au Sud-Kivu. 

La société civile a réclamé à de nombres reprises que Tshonga soit interrogé et pour son depart. Il semblerait que le personnel de Tsonga se soit mis en grève en mars de cette année afin de protester contre le travail de Tsonga. En mars toujours, la Division Provinciale des Mines a officiellement rompu avec l’agence de Tshonga « jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli ». L’agence minière que dirige Tshonga n’a reversé aucun revenu pour le dragage d’or à la province entre 2014 et 2015, alors pourtant qu’elle n’a jamais cessé de prélever des taxes officielles.

Une pétition exigeant la démission du gouverneur a recueilli près de 40 000 signatures à Sud-Kivu, d’après les médias locaux. En juin, 18 députés de province ont sommé le gouverneur de se présenter au parlement et ont déposé une motion de censure. Le gouverneur n’a pas honoré son RDV avec les députés : au lieu de cela, en juillet il a donné sa démission.

Le 12 juillet, en l’absence du gouverneur, le vice-gouverneur de Sud-Kivu a sollicité l’autorisation de demande d’un prêt s’élevant à près d’1.3 millions $ US (2,000 million FrC) à la banque privée Rawbank – soi-disant pour rembourser les dettes de la province et payer ses fonctionnaires. Les comptes en banque de la province ont supposément été gelés après la démission du gouverneur Cishambo. 

En parallèle, des activistes issus de la société civile ont continué de recevoir de plus en plus de menaces parce qu’ils dévoilent la vérité sur les agissements dans le secteur des minéraux de la province. Le contrôle et la surveillance indépendantes sont essentielles dans la construction d’un commerce de minéraux responsable et transparent – et pourtant les activistes locaux et indépendants sont les cibles d’une surenchère de menaces et d’intimidations. Après « La Rivière d’Or » les enquêteurs de Global Witness ont rejoint les rangs de nos collègues de la société civile qui sont constamment victimes d’intimidation à cause du travail qu’ils effectuent pour rendre les compagnies et les autorités responsables de leurs actes.

À L’INTERNATIONAL

Il y a aussi eu très peu de réactions à notre rapport d’un bout à l’autre des chaînes d’approvisionnement internationales. L’organisme chargé de la régulation et de la promotion des chaînes d’approvisionnement d’or et de diamants à Dubaï, le Dubai Multi Commodities Centre (DMCC), n’a pas répondu aux sollicitations de Global Witness concernant le scandale Shabunda. En mai 2017, soit presque un an plus tard, un représentant de la DMCC a déclaré à l’antenne quotidienne de la BBC (BBC World Service’s Business Daily) que le permis de l’Alfa Gold Corp DMCC, une des compagnies liées au boom à Shabunda, avait été révoqué en juillet 2016 pour manquements à des « exigences de conformité » non spécifiées.

Global Witness n’a connaissance d’aucune autre action engagée par les autorités à Dubaï contre les autres individus et compagnies liées à cette affaire. L’ambassade chinoise à Kinshasa a reçu une copie du rapport mais n’a pas réagi. Avant la publication du rapport, Marcellin Cishambo et Kun Hou Mining ont refusé à plusieurs reprises de réagir. John Tshonga a affirmé que ses agents avaient agi conformément à la loi et qu’ils n’avaient pas collaboré avec des groupes armés.

Aujourd’hui les chaînes d’approvisionnement aurifères couvrent une vaste constellation de pays, de compagnies et d’économies. Un réseau international de négociants, de banques et de bijoutiers achète l’or de Sud-Kivu en faisant abstraction de – ou en fermant les yeux sur – ce qu’ils financent véritablement par ce commerce.

Tant que des rapports tels que « La Rivière d’Or » seront ignorés de la sorte, ce commerce d’or abusif et non-équitable continuera.

Auteur

  • Sophia Pickles

    Campaign Leader and Supply Chain Investigator

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