Report | 4 Mai 2016

Hors d’Afrique

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Résumé analytique

La République démocratique du Congo devrait être l’un des pays les plus riches du monde grâce aux milliers de milliards[1] de dollars que représentent l’or, le diamant, le cuivre, le cobalt et autres ressources naturelles de son sol. La demande en minerais – utilisés dans la fabrication de smartphones, d’ordinateurs, de batteries et d’innombrables autres biens de consommation populaires – est incroyablement élevée, mais la corruption endémique et la mauvaise gestion maintiennent toutefois les citoyens congolais dans la pauvreté tandis que le commerce illicite de minerais finance la violence et le conflit armé depuis des décennies. Le Congo figure systématiquement au dernier rang  ou pratiquement au dernier rang de l’Indice de développement humain des Nations Unies.[2] Un enfant sur sept meurt avant l’âge de cinq ans[3] et selon les estimations, neuf pour cent de la population a besoin d’aide humanitaire.[4]

Alors que la vaste majorité de la population congolaise souffre d’un manque de services de base, l’État a vendu de précieux actifs miniers à des prix trop bas pour ne pas susciter la suspicion, faisant ainsi perdre au Trésor public des centaines de millions de dollars de revenus cruciaux. Cet argent s’est retrouvé dans les mains de quelques sociétés anonymes, dont les véritables propriétaires se dissimulent derrière une cascade de sociétés écrans dont le siège se situe dans un paradis fiscal offshore dans les territoires britanniques d’outre-mer. L’opacité du monde offshore qui a facilité ces transactions permet à des politiciens corrompus et à des hommes et femmes d’affaires véreux de blanchir de l’argent, de se soustraire à l’impôt et de conclure des transactions suspectes tout en gardant leur identité secrète.

Cette exploitation des ressources naturelles du Congo a atteint un sommet au moment de l’élection présidentielle au Congo il y a cinq ans ; ce problème se pose avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui que la population congolaise se rendra à nouveau aux urnes en novembre 2016. Des journalistes et des chercheurs de Global Witness ont révélé antérieurement qu’au moment du scrutin contesté de 2011, une série de transactions minières suspectes avaient été conclues avec des sociétés anonymes offshore, coûtant au pays 1,36 milliard de dollars de revenus potentiels. Selon des informations diffusées à l’époque, les revenus découlant d’au moins une de ces ventes douteuses ont été utilisés pour contribuer à un fonds électoral.

Chaque transaction a profité de la loi du secret appliquée aux Îles Vierges britanniques – un territoire britannique d’outre-mer et paradis fiscal – pour masquer qui étaient véritablement les personnes impliquées ; de grosses sociétés minières et un homme d’affaires israélien, Dan Gertler, ont joué un rôle de premier plan dans ces transactions. Gertler, un milliardaire, est un ami proche du Président congolais Joseph Kabila, lequel avait finalement remporté l’élection contestée sur fond de dénonciations de bourrage des urnes et d’intimidations.[5]

Les étonnantes révélations liées à la fuite de données des Panama Papers – une masse impressionnante de 11,5 millions de fichiers provenant du quatrième plus grand cabinet d’avocats offshore au monde, Mossack Fonseca – a donné au public un aperçu sans précédent du monde occulte et anonyme des paradis fiscaux offshore auxquels ont recours des politiciens, des hommes d’affaires fortunés et des criminels.[6] C’est ce monde offshore qui a été exploité pour faciliter la conclusion de ces contrats faramineux pour l’exploitation de ressources naturelles qui ont dépouillé le Congo de tant d’argent. Selon certains rapports, Gertler est mentionné plus de 200 fois dans les documents de Mossack Fonseca.[7] Le cabinet d’avocats a également créé deux des sociétés de Gertler qui ont obtenu des blocs pétroliers dans l’est du Congo dans des circonstances controversées.[8] Les relations de Mossack Fonseca avec ces sociétés ont pris fin peu de temps après leur création en 2010.

Aujourd’hui, en 2016, Kabila aurait entrepris de chercher le moyen de rester au pouvoir en dépit du fait que la constitution congolaise l’oblige à se retirer à l’issue de son second mandat en décembre 2016. À l’approche du scrutin, Global Witness a parcouru de nouveaux éléments prouvant la conclusion de marchés miniers qui n’ont pas été annoncés publiquement, sans aucune clarté sur la destination de l’argent. L’histoire semble se répéter, les précieuses ressources naturelles du Congo risquant d’être volées pour financer une campagne électorale plutôt que les services de base dont la population congolaise a cruellement besoin.

2016 n’est pas seulement une date charnière dans la politique électorale congolaise ; il s’agit également d’une année cruciale dans le combat mené au niveau mondial pour mettre fin à l’opacité du monde offshore qui a facilité ces transactions. Le Premier Ministre britannique David Cameron accueillera en mai un sommet anti-corruption où la transparence en matière de propriété réelle des entreprises sera mise sur la table. On imagine difficilement comment ce sommet pourrait déboucher sur un succès si Cameron ne balaie pas d’abord devant sa porte en levant le secret financier dont jouissent les ventes dans le cadre constitutionnel britannique. Dans la foulée du scandale des Panama Papers, Cameron a déclaré que les services répressifs britanniques compétents disposeront d’un accès rapide aux informations relatives aux propriétaires effectifs des sociétés immatriculées dans les paradis fiscaux britanniques[9], mais cela ne suffit pas. Un registre central de données relatives à la propriété réelle doit être rendu public pour que cela soit vraiment efficace. Pour le peuple congolais, il est indispensable que ces lois sur le secret financier changent afin que l’identité de tous les propriétaires de sociétés qui ont bénéficié de ces marchés puisse être révélée et que ceux qui auraient été impliqués dans des actes répréhensibles soient traduits en justice.

Par-dessus tout, il est essentiel que la population congolaise commence enfin à bénéficier des richesses minérales de son pays. Le Congo a récemment souffert d’une baisse temporaire des prix des métaux sur le marché mondial mais il a connu un boom minier au cours des dernières années, avec le chiffre record d’un million de tonnes de cuivre produites en 2014.[10] Cet essor ne s’est pourtant pas traduit en améliorations pour la vaste majorité des Congolais. Le conflit et l’instabilité persistent : fin 2012, une rébellion armée a éclaté dans la province congolaise du Nord-Kivu, déchirée par la guerre ; elle a duré 20 mois.[11] Les services de base tels que les routes, les hôpitaux et les écoles sont encore largement absents. Le montant de 1,36 milliard de dollars perdu dans les marchés miniers suspects  au moment des élections représente le double des dépenses du pays consacrées à la santé et à l’éducation[12] – une perte spectaculaire pour le Trésor public.

En mars 2016, le gouvernement congolais a annoncé que la révision de son code minier serait suspendue jusqu’à une remontée des prix des métaux.[13] Cette suspension est particulièrement inquiétante car la réforme aurait été l’occasion d’introduire des mesures fortes en matière de transparence et de responsabilité dans le secteur minier du Congo. Global Witness met en garde contre le fait que si le Congo ne renforce pas son code minier et ne le fait pas appliquer, le pays pourrait à nouveau voir les richesses provenant de ses ressources naturelles être détournées des caisses de l’État et utilisées pour contribuer à financer une élection qui risque d’être violemment contestée, voire inconstitutionnelle.

Mener une campagne électorale coûte cher. Si des transactions louches telles que ces ventes secrètes ont en partie contribué dans le passé à financer un scrutin contesté et entaché de violence, l’heure du changement est aujourd’hui venue. Global Witness demande plus précisément :

  •  Que des pressions – intérieures et extérieures – soient exercées sur le gouvernement congolais et les sociétés minières publiques du pays pour se conformer aux lois nationales et aux obligations internationales en publiant des informations détaillées sur les nouveaux contrats miniers, pétroliers et gaziers, en particulier en amont des élections 2016.
  •  Que le nouveau code minier du Congo garantisse une procédure d’appel d’offres ouverte et publique pour les nouveaux droits miniers, que les nouveaux contrats soient publiés dans les plus brefs délais et soient librement accessibles, que l’identité des bénéficiaires ultimes des sociétés soit rendue publique, et que les sociétés minières publiques soient soumises à des contrôles et des audits, soient bien gouvernées et soient tenues de rendre compte de leurs actes.
  • Que le gouvernement congolais crée un registre public des bénéficiaires effectifs de toutes les entreprises qui font des offres, investissent et opèrent dans les industries extractives.
  •  Que le Royaume-Uni et les autres économies développées insistent sur la tenue de registres publics de bénéficiaires effectifs et mettent fin à l’existence de juridictions occultes dans les paradis fiscaux.
  •  Que les sociétés et personnes physiques impliquées dans le scandale des ventes secrètes fassent l’objet d’une enquête approfondie réalisée par les autorités congolaises et étrangères compétentes et, si des infractions sont constatées, qu’elles soient poursuivies en justice.

Ce qui suit est l’histoire de ces ventes secrètes opérées dans le secteur minier, débutant au Congo pour se terminer en plein cœur du district financier de Londres, après un passage dans les paradis fiscaux des Caraïbes. Elle abordera les retombées des révélations sur les transactions conclues, montrera que les vides juridiques qui ont permis leur existence subsistent, et examinera ce qui doit être fait pour empêcher les élections de 2016 au Congo d’être confrontées à la même tourmente qu’en 2011.



[1] Centre d’actualités du PNUE, ‘Une étude du PNUE confirme la portée mondiale du potentiel environnemental de la RDC mais prévient d'importants défis’, 10 octobre 2011 : http://www.unep.org/newscentre/Default.aspx?DocumentID=2656&ArticleID=8890&l=fr

[2] PNUD, Indice de développement humain 2015 : http://hdr.undp.org/fr/composite/HDI

[3] UNICEF, République démocratique du Congo : http://www.unicef.org/wcaro/Countries_1749.html

[4] News24, ‘7.5 million need humanitarian aid in DRC’, 12 janvier 2016 : http://www.news24.com/Africa/News/75-million-need-humanitarian-aid-in-drc-20160112

[5] Communiqué de presse de la MONUSCO, ‘RDC : l'ONU appelle les autorités à un décompte transparent des voix’, 12 décembre 2011 :  http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=27127#.VxeMr0cjHFk et aussi New York Times, ‘Congo President Kabila Denies Reports of Election Fraud’, 13 décembre 2011 : http://www.nytimes.com/2011/12/13/world/africa/congo-president-kabila-denies-reports-of-election-fraud.html?_r=1&ref=world

[6] Consortium international des journalistes d’investigation, ‘The Panama Papers’, 3 avril 2016 : https://panamapapers.icij.org/

[7] Haaretz, ‘Israeli Diamond Tycoons Listed in Leaked Panama Papers’, 7 avril 2016 : http://www.haaretz.com/israel-news/.premium-1.713130?date=1460029627319

[8] Global Witness, ‘News Over Ownership Of Congolese Oil Blocks Raises Further Corruption Concerns’, 29 juin 2012: https://www.globalwitness.org/en-gb/archive/news-over-ownership-congolese-oil-blocks-raises-further-corruption-concerns/

[9] Le 11 avril 2016, David Cameron a fait une déclaration sur les Panama Papers, dans laquelle il déclarait : « Aujourd’hui, je peux annoncer à la Chambre que nous avons maintenant convenu qu’ils garantiront aux autorités répressives et fiscales britanniques le plein accès aux informations relatives aux propriétaires effectifs des entreprises. Nous avons finalisé des arrangements avec chacun d’entre eux, à l’exception d’Anguilla et de Guernesey, qui à notre avis emboîteront le pas dans les jours ou les mois prochains. Pour la première fois, les autorités policières et répressives britanniques seront capables de voir exactement qui détient et contrôle réellement chaque société immatriculée dans ces territoires : les îles Caïmans, les Îles Vierges britanniques, les Bermudes, l’Île de Man, Jersey— tous. », https://www.gov.uk/government/speeches/pm-commons-statement-on-panama-papers-11-april-2016

[10] Reuters, ‘UPDATE 1-Congo copper production to hold steady in 2015 - mines ministry’, 15 octobre 2015 : http://uk.reuters.com/article/congodemocratic-mining-copper-idUKL8N12F2PK20151015 

[11] BBC, ‘DR Congo claims defeat of M23 rebels’, 5 novembre 2013 : http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-24815241

[12] Le rapport de l’Africa Progress Panel, p. 57, indique qu’en 2012,  les dépenses combinées dans le secteur de la santé et de l’éducation au Congo se sont élevées à 698 millions de dollars : http://www.africaprogresspanel.org/wp-content/uploads/2013/10/2013_APR_Equit%C3%A9_et_Industries_Extractives_en_Afrique_25062013_FR_LR.pdf

[13] Reuters, ‘UPDATE 1-Congo mining code revision suspended until metal prices recover -minister’, 10 mars 2016: http://af.reuters.com/article/drcNews/idAFL5N16I5EV