Fin mars, Apple a publié son troisième rapport sur les minerais de conflit. Ce genre de rapport est souvent couvert d'éloges lorsque l'entreprise qui en est l'objet déclare sa situation comme « garantie sans lien avec un conflit ». Le rapport d'Apple, lui, choisit de ne pas utiliser cette description, et nous pensons que c'est une bonne chose.
Vous pourriez vous attendre à ce qu'une organisation comme Global Witness, qui milite sur la question des minerais de conflit dans le but que les ressources naturelles d'un pays cessent d'alimenter les conflits et atteintes aux droits de l'homme, souhaite que les entreprises se déclarent « sans lien avec un conflit ». Mais, ces formulations ont déjà été utilisées à différents moments pour signifier différentes choses, et peuvent dès lors être trompeuses, surtout lorsqu'elles ne sont pas complétées par une description détaillée de la façon dont l'entreprise est parvenue à cette conclusion.
La réalité est que les chaînes d'approvisionnement, qui puisent leurs minerais en particulier dans les pays fragiles et touchés par des conflits, sont mouvantes et évoluent constamment. Même les chaînes d'approvisionnement les mieux supervisées ne sont pas à l'abri d'une possible contribution à des circuits corrompus ou des situations de violation des droits de l'homme. C'est pourquoi nous croyons que les chaînes d'approvisionnement ou les produits finaux ne devraient pas pouvoir être déclarés « sans lien avec un conflit ». Si l'on est attentifs aux pratiques d'approvisionnement responsable des entreprises, l'élément le plus important de l'analyse n'est pas l'étiquette vide de sens qu'est l'appellation « sans lien avec un conflit », mais la preuve que les entreprises contrôlent activement et en permanence leurs chaînes d'approvisionnement pour détecter tout signe ou risque d'approvisionnement douteux, et le cas échéant, prennent les mesures appropriées pour remédier aux problèmes.
Apple fait cette distinction dès les premiers paragraphes de son rapport 2016. La multinationale affirme que, pour la première fois, cent pour cent des raffineurs impliqués dans ses chaînes d'approvisionnement, c'est-à-dire toutes les fonderies et raffineries qui transforment le minerai brut en métal qu'elle utilise, ont été auditées par divers systèmes de certification et certifiés sans lien avec un conflit. Alors que d'autres entreprises sauteraient sur l'occasion pour estampiller ses produits « sans lien avec un conflit », Apple tempère le résultat : « Apple ne croit pas que la participation à un programme d'audit indépendant suffise à déclarer ses produits "sans lien avec un conflit". Apple estime que ses efforts ne s'arrêtent pas là. »
Cette décision est de grande importance. Elle souligne la distinction essentielle entre le fait d'attribuer l'appellation « sans lien avec un conflit » à un produit, et le processus de contrôle continu qu'il est nécessaire d'appliquer sur les chaînes d'approvisionnement, autrement appelé « diligence raisonnable ». Cette concrétisation des paroles d'Apple dans son action est la bienvenue.
Ce qui est également crucial de la part d'Apple, c'est de reconnaître les limites de ce que l'entreprise appelle « programmes d'audit indépendant », ces systèmes créés par l'industrie pour auditer les fonderies et raffineries, et garantir l'absence, ou non, de lien avec un conflit. Ces programmes, tels que l'Initiative pour un approvisionnement exempt de tout lien avec un conflit (CFSI) ou les Recommandations pour un approvisionnement responsable en or, émises par l'association londonienne Bullion Marketont, ont été conçus principalement à l'usage des sociétés américaines cotées en bourse, qui sont tenues, suivant l'article 1502 de la réforme financière « Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act », de contrôler leurs chaînes d'approvisionnement si l'étain, le tantale, le tungstène ou l'or de leurs produits proviennent de la République démocratique du Congo ou des pays voisins. Le programme CFSI, en particulier, est limité quant aux éléments sur lesquels il fonde ses évaluations, et ne remplit par les normes internationales en matière de contrôle des chaînes d'approvisionnement. Par exemple, il ne demande pas à ses participants de prouver s'ils procèdent régulièrement à une étude des risques d'approvisionnement douteux, ni s'ils ont des procédures de résolution de ces risques.
Comme l'indique Apple à juste titre, se baser uniquement sur ce genre d'outils ne suffit pas à garantir que les métaux qui se retrouvent dans nos produits de consommation courante ne financent pas des conflits ou des situations de violation des droits de l'homme. Cette responsabilité ne peut être sous-traitée. C'est pourquoi le CFSI et autres programmes similaires doivent être considérés comme des outils complémentaires pour aider les entreprises dans leur diligence raisonnable ; les entreprises doivent se rappeler qu'elles sont individuellement responsables de la vérification de leurs chaînes d'approvisionnement, ainsi que de la qualité de ces vérifications.
Le rapport d'Apple est également notable en ce qu'il comprend les descriptions les plus détaillées que nous ayons pu lire jusqu'à présent, parmi tous les rapports consacrés aux minerais de conflits, déposés en vertu de l'article 1502. Même si le rapport n'est pas parfait, l'honnêteté avec laquelle Apple signale ce qu'elle sait effectivement des chaînes d'approvisionnement qu'elle utilise, sa façon de traiter les risques d'approvisionnement douteux, les lacunes et absences d'information qui demeurent malgré les recherches, et la manière dont elle envisage de renforcer sa diligence raisonnable, sont inédites. C'est ce genre d'approvisionnement responsable et traçable, qui donne aux investisseurs et aux consommateurs l'assurance que l'entreprise gère ses risques d'approvisionnement douteux à tous les niveaux de la chaîne.
Ce rapport détaillé va dans le bon sens ; il représente bien mieux l'esprit des directives internationalement reconnues de l'OCDE en matière de diligence raisonnable. Les recommandations préconisent clairement que les contrôles sur les chaînes d'approvisionnement soient un processus souple et itératif, constamment amélioré, et adapté aux opérations spécifiques de chaque entreprise et aux différents niveaux des chaînes d'approvisionnement. Nous espérons que d'autres entreprises suivront l'exemple d'Apple et donneront la part belle au processus prescrit par les directives de l'OCDE, plutôt qu'à leur certification « sans lien avec un conflit ».
Comme Apple le reconnaît dans son rapport, leurs efforts ne devraient pas s'arrêter pas là. Début 2016, Amnesty International et Afrewatch ont révélé que le cobalt utilisé dans les batteries lithium-ion des produits fabriqués par de grandes entreprises comme HP, Apple et Samsung auraient été extrait par des enfants, de seulement sept ans pour certains, dans le sud du Congo. Il est vrai que la diligence raisonnable d'Apple semble se concentrer sur les quatre minéraux inclus dans l'article 1502 ; il serait important que toutes les entreprises, y compris Apple, élargissent leurs procédures de contrôle, et portent leur attention sur d'autres minerais, comme le cobalt, dès lors qu'ils proviennent d'une région sensible ou touchée par un conflit, tel que requis par les directives de l'OCDE, et non seulement du Congo ou ses pays voisins.
Certes, il reste encore du chemin à parcourir pour que ses rapports sur les minerais de conflit satisfassent pleinement aux normes internationales, mais Apple n'en a jamais été aussi proche, et son dernier rapport montre qu'il est possible de contrôler sérieusement ses chaînes d'approvisionnement. Son approche devrait être copiée par les autres et améliorée. Global Witness appelle toutes les entreprises à s'assurer qu'elles fournissent des informations détaillées et substantielles quant aux risques d'approvisionnement douteux identifiés sur leurs chaînes d'approvisionnement en minerais, et à indiquer les mesures prises pour y faire face, à l'occasion du dépôt de leurs rapports au 31 mai 2016. Seule cette démarche responsable assurera les consommateurs et les investisseurs que les entreprises tentent effectivement de rompre le lien entre le commerce des métaux et les conflits et situations de violation des droits de l'homme.