Blog | Sept. 30, 2015

Les enquêteurs britanniques peu empressés à investiguer sur une compagnie pétrolière éclaboussée par un scandale

Le mois dernier, il a été annoncé que le Service britannique chargé de la répression des fraudes graves, le SFO (Serious Fraud Office), allait ouvrir une enquête sur une société pétrolière britannique qui versait de l’argent à des fonctionnaires dans un pays africain en proie à une forte instabilité. Cherchant à protéger ses intérêts commerciaux dans la région, cette firme payait des personnes liées aux autorités locales – acte susceptible d’enfreindre la loi anti-corruption britannique (Bribery Act).

Cette information est tombée dans la foulée des révélations de Global Witness sur les paiements effectués par Soco International à un officier de l'armée corrompu et dangereux en République démocratique du Congo. En 2014, nous avions également publié des preuves établissant que Soco avait payé un ministre du gouvernement et un fonctionnaire public de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature afin de huiler les rouages de ses activités dans le Parc national des Virunga, un site emblématique du Congo inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Il se trouve que la société visée par l’enquête des autorités britanniques n’est pas Soco mais  Soma Oil & Gas, présidée par Lord Michael Howard, laquelle a effectué des « paiements pour un renforcement des capacités » d’une valeur de près d’un demi-million de dollars, argent qui a été versé à des fonctionnaires somaliens.

La question qui se pose est dès lors la suivante : que faut-il pour que le SFO ouvre également une enquête sur les activités de Soco dans les Virunga ? Si les autorités britanniques n’enquêtent même pas sur les cas d’abus bien documentés, les firmes qui commettent des délits dans leur quête de profit jouiront alors d’une impunité totale. Si le SFO n’agit pas, le Département de la Justice aux Etats-Unis – où la filiale de Soco au Delaware emploie ses directeurs exécutifs américains – devrait alors intervenir.

Des accusations étouffées

Des ONG, des journalistes, ainsi que les réalisateurs du documentaire Virunga, portent des accusations contre Soco au moins depuis 2013, et leurs affirmations ont été étayées par des témoignages recueillis de manière indépendante ainsi que par des séquences filmées en caméra cachée. Selon les preuves mises en avant, la société et ses sous-traitants ont effectué des paiements illicites, semblent avoir payé des rebelles armés et ont profité du climat de peur et de violence régnant lorsqu’ils cherchaient à obtenir et à conserver un accès aux Virunga pour des activités pétrolières.

Jusqu’à présent pourtant, la firme a pu s’autocontrôler. Soco a tenté de tirer le rideau sur cette polémique en nommant ses propres avocats pour procéder à un examen opaque des accusations – et ceci, uniquement à la suite de pressions concertées ; elle espérait clairement en avoir terminé avec les questions difficiles.

Mais comme on pouvait le prévoir, l’examen ne visait qu’à blanchir la firme.

Une enquête partiale et opaque

En mars, Soco a annoncé que quelques mois plus tôt, elle avait discrètement chargé Clifford Chance d’examiner les accusations de paiements illicites et de corruption. Ce cabinet d’avocats d’affaires était plutôt inattendu dans le rôle d’enquêteur indépendant, car il représente Soco depuis 2011.

Le conseil d’administration de Soco a présenté les conclusions de l’examen à ses actionnaires dans un résumé oral de 500 mots ; ni le rapport complet ni les termes de référence ne seront publiés. Lors de l’assemblée générale annuelle de l’entreprise, le président de la firme, en difficulté, a dû faire face à des appels réclamant sa démission pour sa gestion du scandale.

La formulation du résumé a été soigneusement choisie. Clifford Chance a jugé que les accusations de corruption portées à l’encontre de son client étaient « substantiellement inexactes », sans préciser en quoi consistaient ces inexactitudes et sans aller jusqu’à affirmer qu’il s’agissait d’allégations fausses ou non fondées. La déclaration faisait également valoir que les avocats n’avaient « pas trouvé de preuves » étayant les accusations de complicité dans des violations des droits de l’homme et des actes d’intimidation.

Les défenseurs locaux des Virunga, dont certains ont été victimes d’une campagne d'intimidation et de peur dans le cadre de leur combat pour protéger le parc national, ont écrit à Clifford Chance pour signaler que le cabinet n’avait jamais contacté aucun membre de la société civile congolaise ni aucune personne liée au Parc national des Virunga pour les inviter  à transmettre leurs observations en vue de l’examen.

Le cabinet leur a répondu, déclarant que Soco « nous a permis d’avoir accès au personnel, aux procédures et aux documents que nous avions demandés, ce qui suffisait pour formuler des recommandations au conseil d’administration à propos des mesures qu’il convenait de prendre ». Il expliquait que le caractère confidentiel des informations relatives à son client l’empêchait de répondre à certaines questions spécifiques portant sur l’examen, mais qu’il avait le sentiment que son travail pour Soco était conforme à son « engagement envers les principes épousés par le Pacte mondial de l’ONU ».

Si l’équipe d’associés de Clifford Chance, dont faisait partie Luke Tolaini, n’a pas trouvé de preuves d’agissements illégaux, c’est peut-être parce qu’elle n’a pas cherché au bon endroit.

Des versements illicites d’argent au ministre et au responsable du parc qui soutenaient le projet pétrolier de Soco

Clifford Chance a écrit que son cabinet n’avait pas trouvé de preuves de paiements « réalisés pour s’assurer des avantages non autorisés ou pour obtenir un traitement spécial » - actes qui exposeraient Soco à des poursuites pénales au titre de la loi anti-corruption.

Leur déclaration est toutefois difficilement conciliable avec le fait que des preuves mettant en évidence une partie du traitement spécial dont a bénéficié Soco de la part de responsables qu’elle payait se trouvent déjà dans le domaine public. Deux cas en particulier ont été décrits dans le rapport de Global Witness intitulé Foreurs dans la brume, dont nous avons demandé à Clifford Chance de tenir compte dans le cadre de son examen.

Le premier exemple est celui de Célestin Vunabandi, à l’époque ministre congolais du Plan, qui a été enregistré disant que Soco l’avait payé pour promouvoir le projet pétrolier dans les Virunga. Son profil LinkedIn indique même qu’il a travaillé comme consultant pour Soco.

Élément plus préjudiciable encore, celui qui était alors superviseur des opérations de Soco sur le terrain dans l’est du Congo, Julien Lechenault, a été enregistré à son insu expliquant que la société avait payé pour l’organisation d’une manifestation en faveur de l’exploration pétrolière et que cela s’était fait « via Vunabandi, le ministre ». Lechenault avait ajouté : « C’est notre ami. Il connaît tout le monde. Il suffit de lui envoyer du cash et c’est réglé ».

Le deuxième exemple est celui de Guy Mbayma, qui, selon son patron, alors qu’il faisait partie des hauts responsables de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature, recevait chaque mois de l’argent remis directement par Soco. En mars 2012, il a été filmé signalant aux gardes du parc des Virunga qu’ils recevraient « de l’argent, beaucoup d’argent » s’ils travaillaient avec Soco dans « l’équipe de l’intérieur », mais que s’ils s’opposaient à l’exploration pétrolière, ils seraient licenciés dans la minute.

Clifford Chance a bien trouvé « des cas sans importance dans lesquels ceux avec qui la société travaillait avaient effectué des paiements en violation de la politique du groupe ». Mais le cabinet d’avocats s’est abstenu de fournir de plus amples informations à propos de l’ampleur ou de la destination de ces paiements. Si des versements d’argent contraires à la politique de la firme ont effectivement été opérés, ils ne peuvent dès lors être considérés comme « sans importance » en l’absence de précisions, d’autant plus que la politique de la firme peut être jugée susceptible de refléter la loi britannique. Soco a déclaré avoir donné pour consigne à Clifford Chance de « tenir les autorités britanniques au courant du champ d’action, des progrès et des résultats de son examen » ; à ce titre, les informations sur ces paiements « sans importance » auraient dû être transmises à la police.

Soco, la prochaine sur la liste

Soco a été visée à plusieurs reprises par des accusations et a émis des démentis peu convaincants. Le jour même où la firme publiait le résumé des conclusions de l’examen de Clifford Chance qui, selon elle, la disculpait, Global Witness a été en mesure de publier des chèques démontrant que Soco avait versé des dizaines de milliers de dollars au Major Burimba Feruzi impliqué dans un scandale, alors que la firme avait spécifiquement démenti ce fait antérieurement. Depuis lors, elle a reconnu avoir financé les soldats qui gardaient sa base, lesquels se trouvaient sous les ordres de Feruzi.

Le bilan de Soco dans les Virunga donne à penser que l’on ne peut faire confiance à la firme pour évaluer honnêtement si elle est ou non coupable des agissements illégaux dont elle est accusée, ou si les infractions commises sont graves ou non. La page de résumé de l’enquête menée par ses propres avocats, enquête qui peut être considérée au mieux comme partiale, n’est guère plus convaincante.

Soco International prétend ne pas avoir violé la loi anti-corruption britannique. Elle devrait être la prochaine sur la liste des firmes visées par une enquête du SFO afin que nous en ayons la certitude.

Exclusion de responsabilité : la version française est une traduction du document original en anglais. Cette traduction ne peut être utilisée qu’à titre de référence. En cas de divergence entre la version française et la version originale anglaise, la version anglaise fait foi. Global Witness décline toute responsabilité en cas de dommage ou préjudice causé par des erreurs, des imprécisions ou des incompréhensions de traduction.

Author

  • Peter Jones

    Campaign Leader, Corruption Investigations

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