Blog | 19 Avril 2017

Des voix cruciales absentes des discussions menées au sein du gouvernement américain pour décider de l’avenir de la disposition sur les minerais du conflit

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Depuis quelques mois, la Section 1502 du Dodd Frank Act, plus connue sous le nom de « disposition sur les minerais du conflit », fait l’objet d’un examen approfondi sans précédent de la part de différentes agences du gouvernement américain. 

Au cours des trois dernières semaines, la Sous-commission sur les affaires africaines qui relève de la commission sénatoriale américaine sur les relations étrangères a tenu une audience pour étudier la mise en œuvre et les impacts de la législation, et le département d’État a ouvert une nouvelle période de consultation soi-disant pour solliciter un retour d’information sur la marche à suivre pour "soutenir l’approvisionnement responsable". 

Vendredi passé, à l’issue d’une période de commentaire de six semaines qui avait démarré en février, le président par intérim de la SEC, Michael Piwowar, a déclaré que l’agence n’appliquerait pas les sections les plus cruciales de la Règle finale de la législation – le texte qui décrit la manière dont les entreprises doivent mettre en œuvre la législation – vraisemblablement sans aucune consultation. 

Ces événements coïncident avec des tentatives d’action exécutive faites par le Président afin de suspendre ou de réviser la disposition sur les minerais du conflit, une initiative qui bafouerait une clause dérogatoire nationale prévue exclusivement pour les cas d’urgence. 

La législation de 2010 a été conçue pour veiller à ce que les entreprises américaines consommatrices de minerais provenant de la région africaine des Grands Lacs ne financent pas le conflit ou les exactions en République démocratique du Congo. En vigueur depuis cinq années, elle a fait l’objet d’un vaste débat aux niveaux local et international, certains la critiquant et d’autres en vantant les avantages.

Mais si les experts internationaux ont souvent pu exprimer leurs points de vue dans les médias mondiaux ou lors d’audiences du Congrès, de forums politiques et de tables rondes, les avis et opinions des témoins locaux qui vivent dans les pays couverts par la législation – et qui ont donc une expérience directe des changements qu’elle a apportés – sont souvent ignorés. Cette situation doit changer. 

Trois experts internationaux ont témoigné devant la Sous-commission sur les affaires africaines de la commission sénatoriale américaine sur les relations étrangères, il y a deux semaines. Il s’agissait d’individus hautement respectés qui ont largement contribué au débat. Mais il a été décevant d’apprendre qu’une audience intitulée "Rapport de situation sur les minerais du conflit" avait décidé d’évaluer la situation à distance. 

Les sénateurs ont veillé à ce que les entreprises directement affectées par la législation soient représentées lors de l’audience. Mais les avis personnels de ceux qui vivent au quotidien dans la région des Grands Lacs n’ont pas été représentés : aucun membre du panel n’avait une connaissance directe de ce que signifie vivre et travailler au sein et autour du secteur minier congolais. Or cette perspective est cruciale si l’on veut que le Congrès comprenne l’intégralité des impacts de la législation. 

L’opinion de ceux qui vivent dans les pays couverts par cette législation est d’une importance indéniable, et le Congrès devrait en tenir compte. Lors de l’audience le Sénateur Cory Booker (D-NJ), membre haut placé de la Sous-commission, a brièvement évoqué certains de ces points de vue, mais uniquement dans le cadre d’une séance de questions/réponses.

Au lieu d’être abordée pendant une séance de questions/réponses, cette perspective aurait dû jouer un rôle décisif pendant l’audience.

La dernière période de commentaires publics de la Security and Exchange Commission (SEC) relative à la Section 1502, lancée suite aux propos critiques du président par intérim Michael S. Piwowar, a reçu des soumissions (individuelles ou conjointes) de la part d’une centaine d’organisations de RDC et du Rwanda, ainsi que des contributions du gouvernement congolais, de la CIRGL (un organe gouvernemental régional qui représente 12 gouvernements régionaux) et de l’Association minière du Rwanda.

La quantité et le niveau de détail de ces soumissions sont impressionnants, d’autant plus que l’accès à la période de commentaire de la SEC était limité – son lancement n’a été annoncé officiellement que sur le site de la SEC et dans le Registre fédéral américain, et uniquement en anglais. Malheureusement, la nouvelle consultation du département d’État suit la même tendance – elle n’est disponible que depuis un site Internet peu utilisé et uniquement en langue anglaise (il semblerait toutefois que les soumissions rédigées en français seront prises en considération).

Pour que ces consultations publiques soient véritablement ouvertes, inclusives et exhaustives, de plus importants efforts doivent être consentis pour informer les personnes qui seront les plus affectées par les changements apportés à la disposition sur les minerais du conflit. Cela signifie que l’annonce de ces périodes de consultation doit se faire par le biais des ambassades concernées et que les consignes doivent être traduites en français.

Le mois dernier, des chercheurs de Global Witness se sont rendus au Rwanda. La question du réexamen de la Section 1502 a été évoquée – spontanément – dans la quasi-totalité des discussions, aussi bien avec le secteur privé qu’avec la société civile. 

Une personne qui a participé à un exercice de suivi d’un site minier a ainsi déclaré : "Avant, les entreprises étrangères pouvaient profiter de tout. [Abroger], ce serait comme passer à côté de l’objectif." Et une autre d’affirmer : "[Une abrogation] provoquera le chaos, elle ramènera la guerre." 

En revanche, un individu qui travaille avec des mineurs artisanaux était d’un tout autre avis, estimant qu’une abrogation de la législation pourrait "donner des fruits" et éventuellement entraîner une hausse du prix au kilo perçu par les mineurs qui travaillent d’arrache-pied tout en bas des chaînes d’approvisionnement internationales. 

Ce sont ces voix et ces points de vue qui doivent être les ultimes éléments de référence lors de toute prise de décision.

Les consultations publiques et les audiences du Congrès sont des démarches utiles et importantes pour vérifier si les lois vont dans le bon sens et remplissent leurs objectifs déclarés. 

Cependant, l’administration américaine risque de nuire à ses propres efforts si l’évaluation réalisée par les décideurs politiques ne tient pas compte du groupe le plus déterminant : celui des personnes les plus exposées à cette législation. 

Auteur

  • Sophia Pickles

    Campaign Leader and Supply Chain Investigator

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  • Sophia Pickles

    Campaign Leader and Supply Chain Investigator