Press release | 29 Mai 2018

Une entreprise britannique opaque obtient des droits pétroliers controversés dans un parc de la République démocratique du Congo classé par l’UNESCO

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Il est à craindre que cette exploration pétrolière ne déstabilise non seulement un écosystème fragile, mais aussi le climat politique imprévisible qui règne en RDC. Les recherches menées par Global Witness ont révélé qu’un individu jouissant de relations dans le monde politique, un ex-condamné pour fraude et de mystérieuses sociétés-écrans avaient joué un rôle dans la conclusion de cet accord, dont les modalités n’ont toujours pas été publiées, ce qui est contraire à la loi congolaise sur les hydrocarbures.

Il y a quelques jours, Global Witness révélait qu’une nouvelle menace pesait sur deux des sites congolais protégés par l’UNESCO, à savoir les parcs nationaux des Virunga et de la Salonga. Le gouvernement congolais a renforcé ses actions visant à supprimer dans certaines parties des parcs les protections juridiques dont ils bénéficient et d’y autoriser une exploration pétrolière. Notre nouveau document d’information fournit des éclaircissements sur la COMICO, l’une des compagnies auxquelles a été attribué un bloc pétrolier chevauchant partiellement l’un de ces sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et qui pourrait profiter des mesures prises par la gouvernement pour autoriser l’exploration pétrolière dans le parc national.

L’un des trois blocs pétroliers attribués à la COMICO empiète sur le parc national de la Salonga, plus vaste forêt humide tropicale protégée d’Afrique, qui abrite jusqu’à 40 % de la population mondiale de bonobos et plusieurs autres espèces rares. Bien que les Contrats de partage de la production (CPP) de la COMICO aient été signés il y a plus de dix ans, la compagnie a dû attendre la signature d’une ordonnance par le Président congolais Joseph Kabila en février de cette année pour pouvoir démarrer ses travaux d’exploration. On ignore la raison pour laquelle les CPP viennent d’être réactivés et qui sont véritablement tous les propriétaires de la COMICO.

« Les sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO ne représentent qu’un infime pourcentage de la surface terrestre, et pourtant ces quelques zones ô combien précieuses sont exposées aux risques associés à l’exploration et à l’exploitation pétrolières », a déclaré Jean-Luc Blakey, responsable de campagne à Global Witness. « Il est impératif que les compagnies pétrolières s’engagent à rester à l’extérieur de ces écosystèmes fragiles et que les gouvernements cessent d’attribuer des permis couvrant ces zones. Les circonstances de cet accord sont elles aussi inquiétantes. Nous ne savons pas exactement qui se trouve derrière la COMICO ni quelles sont les modalités du contrat ; ce manque de transparence est préoccupant. »

Global Witness a réussi à trouver certains renseignements sur la propriété de la COMICO dans le Journal officiel de la RDC, mais ces données sont incomplètes. D’autres enquêtes menées par Global Witness ont démontré qu’aujourd’hui, 40 % des parts de la compagnie sont contrôlées par une entité immatriculée à Guernesey, Centrale Oil & Gas, qui fait partie de l’empire commercial du Sud-Africain Adonis Pouroulis. Des données plus anciennes montrent qu’à différents moments, un homme d’affaires portugais controversé, Idalécio De Oliveira, a également détenu des parts dans la COMICO.

Pouroulis a démarré sa carrière dans la prospection de diamants en Angola à la fin des années 1990. Il intervient aujourd’hui dans un large éventail de projets liés au secteur des ressources naturelles à travers l’Afrique par l’intermédiaire de sa société Pella Resources. Oliveira a été accusé d’avoir versé des dessous-de-table, liés à la vente d’un bloc pétrolier, dans le cadre du scandale de corruption « Lavage-Express » ; il a été traduit en justice au Brésil en 2016. Bien que le juge ait déclaré qu’Oliveira avant sans doute connaissance des actes de corruption dans lesquels il était impliqué, le tribunal a jugé que les preuves n’étaient pas suffisantes pour condamner Oliveira, qui a ainsi été acquitté. Le procureur général du Brésil a fait appel de cette décision en 2017 ; l’affaire est toujours en cours.

Au moins un homme politique congolais a également été impliqué dans la COMICO : Montfort Konzi, ancien membre du cabinet du parti politique de Jean-Pierre Bemba, le Mouvement de Libération du Congo, a créé la compagnie aux côtés d’Oliveira en 2006. Il semblerait toutefois que Konzi ne soit plus impliqué. Il est intéressant de noter qu’en 2007, un petit nombre de parts de la COMICO a été transféré vers Shumba International Limited, mystérieuse société mauricienne qui a aujourd’hui cessé ses activités. Malgré les nombreuses tentatives faites par Global Witness pour identifier la propriété de Shumba, on ignore qui se trouvait derrière cette société.

Contactés par Global Witness, les avocats qui représentent M. Pouroulis et Centrale ont déclaré que la propriété de la COMICO était tenue confidentielle pour « des raisons commerciales légitimes n’ayant aucun rapport avec des pots-de-vin, des actes de corruption ou tout autre délit financier », ajoutant qu’« aucun des propriétaires réels n’a été condamné pour pots-de-vin, corruption, fraude ou un autre délit financier ».

« Différentes sociétés enregistrées dans des juridictions opaques semblent avoir obtenu des participations dans la COMICO juste au moment où celle-ci était en train d’acquérir des permis pétroliers en RDC. Faute d’une publication exhaustive des propriétaires de ces sociétés offshore, il nous est difficile de savoir qui bénéficie ou a bénéficié de cette compagnie qui détient désormais des droits d’exploration pétrolière dans ce site protégé par l’UNESCO au Congo », a précisé Blakey.

Cette attribution survient dans le contexte d’une crise politique au Congo. Des élections devaient en effet avoir lieu fin 2016, mais le Président Kabila s’est maintenu au pouvoir au-delà des deux mandats autorisés par la constitution congolaise, malgré une vague de protestations contre son régime qui s’est soldée par de nombreuses morts. L’élection est désormais prévue pour décembre 2018, mais Kabila n’exclut pas de réviser la constitution afin de supprimer la limitation du nombre de mandats et, ainsi, de pouvoir se présenter une troisième fois. La réactivation de ces CPP suggère que le régime de Kabila pourrait chercher à extraire des revenus supplémentaires à partir des ressources naturelles du pays en ces temps d’instabilité – peut-être afin d’amasser un trésor de guerre financier à l’approche des élections.

Global Witness demande à la COMICO de rester en dehors du parc national de la Salonga et de divulguer la liste complète de ses propriétaires réels, à savoir l’identité de tous ses propriétaires actuels et depuis 2006. Le gouvernement congolais devrait publier le contrat qu’il a conclu avec la COMICO, conformément à la loi sur les hydrocarbures, ainsi que tous les paiements que la compagnie a adressés au gouvernement congolais. Les gouvernements d’autres États devraient cesser d’attribuer des contrats relatifs à l’exploitation des ressources naturelles dans des écosystèmes fragiles, et l’intégrité des sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO devrait être respectée et préservée.

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Contacts

Infos pour les journalistes:

  • Le rapport ‘Pas à vendre: La forêt du Congo doit être protégée du secteur des énergies fossiles’ peut être téléchargé dans son intégralité ici.
  • La carte qui fait apparaître le chevauchement d’un bloc pétrolier de la COMICO avec le parc national de la Salonga se trouve dans le document d’information. Cette carte s’appuie sur un courrier adressé à Global Witness par l’avocat de Centrale Oil & Gas et d’Adonis Pouroulis.
  • Norman Leighton travaillait comme comptable pour la COMICO au moment où la compagnie s’est vu accorder ses CPP en 2007. D’après l’article de Farrar’s Building paru le 30 juin 2016, intitulé Four Sentenced for £100 Million Film Tax Avoidance Scheme, Norman Leighton a été déclaré coupable de complot visant à frauder les services fiscaux du Royaume-Uni. Il a été condamné à deux ans de prison avec sursis en raison de ses problèmes de santé et au vu du fait qu’il résidait à l’étranger et du rôle moindre qu’il avait joué dans cette affaire.
  • Les détails du dossier lié à Idalécio de Oliveira peuvent être consultés à l’adresse https://www.jfpr.jus.br/, numéro de dossier : 50276853520164047000 et clé électronique : 194821988816.

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