Communiqué de presse / 11 Mars 2010

RD Congo : les anciens rebelles s'emparent de l'activité de racket du commerce de minerais

D'anciens rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) ont mis en place des activités de racket mafieuses couvrant certaines des zones d'extraction d'étain et de tantale les plus lucratives de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), rapporte aujourd'hui le groupe de campagne Global Witness après quatre semaines de recherche dans la région.

Les rebelles de l'ex-CNDP, qui ont joint les rangs de l'armée nationale à la suite d'un processus chaotique d'intégration en 2009, ont profité d'offensives gouvernementales soutenues par l'ONU visant à déloger la milice FDLR de sites miniers lucratifs. Ils ont ainsi acquis un contrôle bien plus important des zones minières que celui dont ils jouissaient en tant qu'insurgés et ont dans bien des cas conservé leurs anciennes structures de commandement et leur agenda politique.

Global Witness appelle le gouvernement congolais à retirer sur-le-champ toutes les unités militaires des carrés miniers dans le cadre d'une démilitarisation radicale du secteur. Les bailleurs de fonds internationaux du pays, qui jusqu'à maintenant ont fait preuve d'une grande indulgence à l'égard du gouvernement sur ce point, devraient exercer davantage de pressions pour que les autorités congolaises excluent les militaires des mines et du commerce de minerais.

« Les offensives très médiatisées lancées l'année dernière contre les FDLR ont permis à des éléments haut placés de l'ex-CNDP de se procurer et de consolider leur accès aux importants gisements miniers. Le contrôle des mines a pour ainsi dire été transféré d'un groupe de voyous armés à un autre - la principale différence étant que le nouveau porte l'uniforme de l'armée nationale », déclare Annie Dunnebacke de Global Witness, tout juste rentrée d'un mois dans l'est de la RDC.

« Cela fait plus de dix ans que  l'accès à la richesse minérale du pays incite à la perpétuation du conflit et à son financement. Tant que le gouvernement et les bailleurs de fonds internationaux n'auront pas mis en œuvre une stratégie exhaustive permettant de venir à bout de tous les moteurs économiques de ce conflit une bonne fois pour toutes, la population locale continuera de souffrir et les perspectives du pays resteront affligeantes. »

Global Witness a découvert que des combattants de l'ex-CNDP désormais chargés de la 212ème brigade de l'armée nationale empochent des dizaines de milliers de dollars par mois grâce aux taxes illégales qu'ils imposent aux civils travaillant à Bisié - la plus importante carrière de cassitérite (minerai d'étain) de l'est du Congo - et dans les alentours. La majeure partie de ces fonds est aiguillée directement vers des officiers supérieurs de l'ex-CNDP, notamment le commandant de la brigade, le colonel Yussuf Mboneza, et d'autres éléments haut placés de l'armée nationale.

Dans certaines zones du Nord-Kivu, des commandants de l'ex-CNDP gèrent une administration parallèle - pour ainsi dire un État dans l'État - par laquelle ils prélèvent des taxes sur le commerce de minerais et d'autres marchandises en toute illégalité. Le gouvernement central n'exerce pratiquement aucune autorité dans ces zones.

« Du fait de leur capacité à détourner les recettes des mines, les anciens rebelles auraient les moyens financiers de se réarmer s'ils décrétaient que la paix ne leur convenait plus », commente Émilie Serralta de Global Witness, qui accompagnait Annie Dunnebacke. « La situation est d'autant plus dangereuse si l'on considère la vieille habitude des anciens commandants de recourir à la rébellion lorsqu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent. »

Global Witness a constaté que c'est la population civile de la région qui est le plus rudement touchée par les actes d'extorsion et autres abus. Dans la carrière de cassitérite de Muhinga, au Sud-Kivu, les creuseurs ont appris aux chercheurs que chacun d'entre eux était contraint de verser 10 dollars aux militaires pour avoir le droit de passer une nuit à travailler dans les puits de mine. Les creuseurs, dont beaucoup sont des enfants, doivent également payer les militaires pour pouvoir se servir de dynamite et sont tous les jeudis tenus de remettre la totalité de leur production du jour.

« À Muhinga, les travailleurs nous ont dit que s'ils ne payaient pas, les militaires les fouettaient et les volaient. L'armée devrait protéger les civils, or elle les brise à force de taxes illégales et d'abus », ajoute Serralta.

Les entreprises continuent de s'approvisionner auprès des groupes armés, tandis que les gouvernements ne prennent aucune mesure à cet égard

Global Witness a également mis en évidence certains éléments prouvant que des entreprises de l'est de la RDC et du Rwanda continuent d'acheter des marchandises directement de sites militarisés, et ce malgré les pressions internationales croissantes visant à mettre un terme au commerce de minerais du conflit.

Certains représentants du secteur se sont engagés sur papier à se soumettre à une plus grande traçabilité de leur chaîne d'approvisionnement et à des pratiques d'achat plus responsables, mais les entreprises qui achètent des minerais dans l'est du Congo n'ont pour l'instant pas concrétisé ces engagements ni mis en œuvre de mesures de diligence raisonnable crédibles.

« Il ne suffit pas que les entreprises se fient à des promesses verbales ou aux documents remplis par leurs fournisseurs. Si elles veulent éviter de se faire complices du conflit et des atteintes aux droits de l'homme, elles se doivent de mener des enquêtes pour savoir exactement de quelles mines provient la marchandise et qui bénéficie de ce commerce », précise Dunnebacke.

« L'information sur qui contrôle telle ou telle mine est de notoriété publique dans les villes commerciales de l'est du Congo. Les entreprises qui achètent des minerais dans des zones militarisées ne peuvent pas plaider l'ignorance. »

De récentes résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ont exhorté les gouvernements à prendre des mesures à l'encontre des entités qui s'approvisionnent en minerais auprès de groupes armés de l'est du Congo, mais les États membres n'ont pour l'instant soumis aucune entreprise ni aucun individu aux sanctions de l'ONU, malgré les amples preuves publiées par le Groupe d'experts de l'ONU et Global Witness.

Serralta explique : « Les gouvernements bailleurs de fonds occidentaux ont fait grand cas de leurs engagements visant à rétablir la paix et la stabilité dans l'est de la RDC. Mais ces belles paroles sont en contradiction avec le fait qu'ils persistent à ne demander aucun compte aux entreprises de leur juridiction qui achètent des minerais du conflit. Lorsque soutenir le Congo signifie s'attaquer à un éventuel intérêt national, aussi marginal soit-il, leur volonté d'agir semble se volatiliser. »

La MONUC ne devrait se retirer qu'à condition que les mines aient été démilitarisées

L'autre test de l'engagement international envers la lutte pour briser le lien entre le commerce des minerais et les atteintes perpétrées au Congo concerne les objectifs et le mandat confiés à la mission de maintien de la paix de l'ONU, la MONUC. Au cours des prochaines semaines, les membres du Conseil de sécurité de l'ONU vont décider des objectifs que la MONUC devra avoir atteints avant de pouvoir se retirer de la RDC sans provoquer une résurgence de l'instabilité. Étant donné les conclusions de ses travaux récents, Global Witness estime qu'il est crucial que ces objectifs comprennent la démilitarisation complète du secteur des minerais dans l'est du pays.

Les membres du Conseil de sécurité devraient par ailleurs renforcer le mandat de la MONUC, dont le renouvellement aura lieu en mai prochain, en la chargeant de lutter contre le commerce illicite de minerais. Les agents du maintien de la paix devraient avoir l'autorisation et les moyens non seulement de surveiller les expéditions de minerais, mais également de soutenir activement les efforts déployés par le gouvernement dans le but de réduire les activités illégales impliquant les militaires.

/ Fin

Contact : Annie Dunnebacke au +44 7912 517 127 ou Emilie Serralta au +44 7982 838 038

Remarques :

Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) sont une milice composée pour la plupart de Hutus et dont certains membres auraient participé au génocide de 1994 au Rwanda.