Communiqué de presse / 10 Septembre 2008

Le contrôle des mines exercé par les parties belligérantes menace les efforts de paix dans l'est du Congo

La participation directe de groupes armés et de l'armée nationale de la République démocratique du Congo (RDC) à l'exploitation de mines d'étain et d'or dans l'est du pays menace les efforts de paix, déclare aujourd'hui Global Witness.

Alors que les combats ont repris dans la province du Nord-Kivu la semaine dernière, Global Witness avertit que les tentatives de maintien du fragile programme de paix menées à l'échelle internationale pourraient échouer si elles ne s'intéressent pas aux dimensions économiques du conflit.

Une mission d'enquête menée par Global Witness en juillet et août 2008 a mis en évidence d'importants éléments démontrant la participation de groupes armés ainsi que d'unités et de commandants des Forces Armées de la République démocratique du Congo (FARDC, l'armée nationale congolaise) à l'exploitation et au commerce de minerais dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

Parmi les groupes armés impliqués dans le commerce des minerais, les plus actifs sont les Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), composées en majorité de Hutus rwandais, dont certains des dirigeants auraient participé au génocide de 1994 au Rwanda.

Les FDLR, tout comme d'autres groupes armés opérant dans l'est du Congo et les FARDC, ont perpétré de graves atteintes aux droits de l'homme à l'encontre de la population civile, dont des meurtres et des viols à grande échelle.

Le désarmement et la démobilisation des FDLR sont primordiaux pour parvenir à une paix durable dans l'est de la RDC. Cependant, pour l'instant, peu de progrès ont été réalisés à cet égard. « Cela est dû en partie au fait que les FDLR ont renforcé leur base économique », affirme Patrick Alley, directeur de Global Witness. « Leurs activités commerciales sont devenues une fin en soi. »

Les FDLR se sont plus particulièrement implantées dans certaines parties du Sud-Kivu, où elles contrôlent des régions entières sans que quiconque conteste leur action. Les zones contrôlées par les FDLR comptent de nombreuses mines d'or et de cassitérite (minerai d'étain), surtout dans les territoires de Shabunda, Mwenga, Walungu, Uvira et Fizi.

« Nos enquêteurs ont vu dans le Sud-Kivu des membres des FDLR vendre ouvertement de la cassitérite », ajoute Patrick Alley. « Les FDLR utilisent ensuite les bénéfices pour s'approvisionner et maintenir l'activité de leur mouvement. Elles ont élaboré des réseaux commerciaux tellement efficaces et lucratifs qu'elles n'ont que peu de raison pour partir. »

Bien que des brigades des FARDC aient été déployées dans certaines zones où opèrent les FDLR, leur présence ne semble guère avoir contribué à restreindre ces pratiques.

« Des habitants de la région nous ont dit que les militaires des FARDC font exactement la même chose que les FDLR : ils s'emparent des mines, ils forcent la population civile à travailler pour eux ou à leur remettre leur production de minerais et leur extorquent des taxes », précise Patrick Alley.

La situation est rendue d'autant plus complexe par la complicité tacite entre les FARDC et les FDLR. En effet, bien que les FARDC soient censées mener des opérations militaires pour déloger les FDLR avec le soutien de la MONUC, la mission de l'ONU chargée du maintien de la paix en RDC, de nombreux militaires des FARDC font en réalité preuve d'une telle bienveillance à l'égard de leurs « opposants » qu'ils les laissent poursuivre leurs activités sans entrave. Il a également été signalé à plusieurs reprises que des membres des FARDC ravitaillent les FDLR en armes, en munitions et en uniformes.

« Cette complicité s'étend à l'exploitation des minerais », déclare Patrick Alley. « Nos enquêteurs se sont rendus dans des zones où les FARDC et les FDLR opéraient côte à côte, chaque groupe contrôlant ses propres zones, s'occupant du commerce des minerais provenant de "ses" mines respectives, sans s'ingérer dans les affaires de l'autre partie. La poursuite de leur activité commerciale dépend de ce soutien mutuel. »

Le monopole qu'exerce la 85ème brigade des FARDC sur Bisie, la plus importante mine de cassitérite du Nord-Kivu, a été dénoncé à maintes reprises, notamment par la société civile et les médias congolais. Or, depuis plus de deux ans, cette brigade est autorisée à poursuivre son commerce lucratif sans être dérangée. Contrairement à de nombreuses autres unités des FARDC, celle-ci n'a pas encore été envoyée au brassage - processus consistant à intégrer et former des groupes armés autrefois hostiles pour en faire une armée nationale unifiée -, et ce, bien qu'elle ait reçu plusieurs ordres à cet effet.

« D'après des témoignages crédibles, des officiers supérieurs du commandement militaire du Nord-Kivu bénéficieraient directement des activités de la 85ème brigade, ce qui expliquerait leur réticence à l'en faire partir », commente Patrick Alley. « En l'absence d'une action immédiate visant à transférer ces militaires hors de la mine de Bisie et à poursuivre en justice les responsables du pillage des minerais perpétré à grande échelle, nous ne pouvons que conclure que ces activités sont approuvées aux plus hauts niveaux. »

Bisie n'est pas la seule mine qui soit contrôlée par des militaires des FARDC. Global Witness a ainsi recueilli des informations sur plusieurs cas dans le Sud-Kivu où des unités des FARDC participent activement à l'exploitation de la cassitérite et de l'or, par exemple à Mushinga et à Tubimbi, dans le territoire de Walungu. Contrairement à la 85ème brigade, ces unités ont été intégrées et formées dans le cadre du programme de brassage. Plusieurs témoins ont affirmé que des commandants haut placés auraient soutenu et profité de ce commerce.

« Contrairement à ce qu'affirment les autorités militaires, la participation des FARDC à l'exploitation minière est très généralisée », affirme Patrick Alley. « Des militaires imposent leur présence à la population locale, s'emparant des mines et réalisant par là même d'importants bénéfices. »

Global Witness souligne combien le rôle des acheteurs et des exportateurs est important pour mettre un terme à ces pratiques commerciales illicites.

« Les comptoirs qui achètent ces minerais ne peuvent continuer de clamer leur ignorance », précise Patrick Alley. « Tout le monde sait pertinemment quels groupes armés contrôlent quels territoires et quelles mines. En s'approvisionnant auprès de ces groupes criminels, les comptoirs leur apportent un soutien effectif. »

Les comptoirs se doivent de faire preuve d'une diligence raisonnable et de veiller à ce que tous leurs fournisseurs en fassent autant. « Lorsqu'il est probable que les minerais proviennent d'une mine contrôlée par un groupe armé ou une unité des FARDC opérant dans l'illégalité, les entreprises devraient tout simplement refuser de les acheter. Faute de quoi elles risquent de se rendre complices », déclare Patrick Alley.

Les mêmes principes s'appliquent aux acheteurs internationaux, qui devraient veiller à ne pas perpétuer le statu quo dans l'est de la RDC en continuant d'acheter des minerais provenant de zones contrôlées par des groupes armés.

Global Witness a également demandé aux facilitateurs et médiateurs internationaux impliqués dans le maintien du processus de paix de prendre en compte de manière explicite les intérêts économiques des parties belligérantes.

« Jusqu'à présent, cette question a été évitée parce qu'elle était jugée trop sensible ou susceptible de faire échouer les pourparlers de paix. Il s'agit là d'une démarche peu judicieuse à long terme », affirme Patrick Alley. « Si les dialogues internationaux continuent d'ignorer cet aspect critique du conflit, ils ne parviendront pas à trouver des solutions durables. »

Global Witness avertit que plus on tarde à s'atteler à cette question, plus il sera difficile de la traiter. « Non seulement la militarisation du commerce des minerais continue de menacer la paix au Congo, mais les Congolais et le pays dans son ensemble se retrouvent privés de revenus précieux dont le pays a tant besoin pour se reconstruire », conclut Patrick Alley.

 

Notes à l'attention des équipes de rédaction

1.         Global Witness est une organisation non gouvernementale britannique qui fait campagne pour mettre un terme aux liens entre l'exploitation des ressources naturelles, les conflits et la corruption.

2.         L'équipe de Global Witness a mené des enquêtes sur la participation de groupes armés et de militaires à l'exploitation minière dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en juillet et août 2008. Les conclusions de ces enquêtes seront communiquées dans leur intégralité lors d'un prochain rapport.

3.         Plusieurs efforts ont été menés en parallèle aux niveaux régional et international pour essayer de ramener la paix dans l'est de la RDC. De récentes initiatives ont donné lieu au communiqué de Nairobi, signé par les gouvernements de la RDC et du Rwanda en novembre 2007, et à l'accord de Goma, signé par le gouvernement congolais et 22 groupes armés au Nord-Kivu et Sud-Kivu en janvier 2008. Un programme de paix connu sous le nom de programme Amani, réunissant les signataires de l'accord de Goma, a été mis en place. Cependant, depuis l'accord de Goma, plusieurs combats ont éclaté, notamment dans le Nord-Kivu entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dirigé en majorité par des Tutsis, et les FARDC. La dernière vague de combats en date, début septembre 2008, semble être la plus grave depuis un certain temps.

4.         Le désir de prendre ou de maintenir le contrôle des ressources naturelles dans l'est de la RDC est un facteur central de ce conflit armé qui, d'après les estimations, aurait fait plusieurs millions de morts depuis 1996. Pour un complément d'information, consulter les rapports de Global Witness « La paix sous tension : dangereux et illicite commerce de la cassitérite dans l'est de la RDC » (juin 2005) et « S.O.S. Toujours la même histoire : une étude contextuelle sur les ressources naturelles de la République démocratique du Congo » (juin 2004), qui peuvent être téléchargés sur le site www.globalwitness.org.

5.         Pour d'autres compléments d'information sur le rôle des ressources naturelles dans le conflit en RDC, consulter les rapports du Panel d'experts des Nations Unies sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en RDC, S/2001/357 (avril 2001), S/2001/1072 (novembre 2001), S/2002/565 (mai 2002), S/2002/1146 (octobre 2002) et S/2003/1027 (octobre 2003). Son successeur, le Groupe d'experts, a enquêté sur les ressources naturelles en tant que source de financement des groupes armés ; voir plus particulièrement le rapport S/2008/43 (février 2008).

6.         En février 2007, Global Witness a déposé une plainte contre la société britannique Afrimex pour atteinte aux Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales dans le contexte des activités commerciales qu'elle mène dans le secteur des minerais provenant de l'est de la RDC. En août 2008, le gouvernement britannique a publié une déclaration confirmant la plupart de ces allégations. Pour tout renseignement complémentaire, consulter le communiqué de presse publié par Global Witness intitulé « La société britannique Afrimex a enfreint des directives internationales en s'approvisionnant en minerais provenant d'une zone congolaise en guerre, affirme le gouvernement britannique » (28 août 2008), qui peut être téléchargé à l'adresse www.globalwitness.org.

7.         Pour tout renseignement complémentaire sur la situation des droits de l'homme dans l'est de la RDC, consulter le communiqué de presse de Human Rights Watch « RD Congo : L'accord de paix n'a pas mis fin aux meurtres de civils » (21 juillet 2008) et le rapport « Nouvelle crise au Nord-Kivu » (octobre 2007) qui peuvent être téléchargés à l'adresse www.hrw.org.