Un athlète olympique demande au CIO d’envisager une interdiction du « sportwashing »

TotalEnergies aime à penser qu’elle soutient le sport. Elle était un sponsor officiel de la Coupe du Monde de Rugby 2023 et de la Coupe d’Afrique des nations de football 2023. L’entreprise voulait également sponsoriser les Jeux olympiques de 2024, qui débutent cette semaine, mais elle a renoncé sous la pression de la Maire de Paris, qui réclamait des Jeux exemplaires sur le plan environnemental

Aujourd’hui, de nouvelles analyses de Global Witness révèlent que TotalEnergies est bien loin de soutenir ces Jeux olympiques, puisqu’au contraire, elle contribue de plus en plus à la crise climatique, qui intensifie les vagues de chaleur dans des villes comme Paris et la dangerosité d’événements comme les JO pour les athlètes et pour les fans.  

La chaleur induite par les carburants fossiles pose un risque sérieux à l’égard des Jeux olympiques. Des athlètes du monde entier ont déjà tiré la sonnette d’alarme à propos des dangers de s’entraîner et de disputer des compétitions sous une chaleur extrême, et le Président de World Athletics a récemment émis une mise en garde, affirmant que « le changement climatique devrait de plus en plus être considéré comme une menace existentielle pour le sport ».

Depuis la signature de l’Accord de Paris, TotalEnergies, dont le siège se situe dans le pays hôte des Jeux olympiques de 2024, a produit suffisamment de pétrole et de gaz pour envoyer dans l’atmosphère 2,6 milliards de tonnes d’émissions de CO2 responsables du réchauffement planétaire. 

Au moyen d’une méthodologie combinant une modélisation de la Columbia University et les données de production de TotalEnergies, nous avons estimé que les émissions liées à la production de cette entreprise (de 2016 à mi-2024) pourraient causer 578 000 décès supplémentaires dus à la chaleur d’ici la fin du siècle, ce qui équivaut à plus d’un quart de la population de Paris. 

Ces estimations reposent sur un scénario d’émissions élevées, décrivant un monde dans lequel nous ne ferions rien d’autre que de poursuivre les politiques climatiques déjà en place. L’étude de la Columbia University propose également un scénario d’émissions plus faibles, modélisant ce qui se produirait si le monde parvenait à zéro émission nette d’ici 2050. Dans ce cas, le nombre de décès dus à la chaleur et liés aux émissions engendrées par la production de TotalEnergies se limiterait à 274 000. 

À l’heure actuelle, TotalEnergies et d’autres entreprises d’énergies fossiles projettent expressément d’étendre leur production de pétrole et de gaz, ce qui augmentera les émissions. Tant qu’elles le feront, la planète continuera de se réchauffer, et la chaleur extrême causée par la combustion de carburants fossiles continuera de provoquer des décès. 

TotalEnergies met des vies en danger et rend les événements sportifs tels que ces Jeux olympiques plus dangereux pour les athlètes et les fans - Sarah Biermann Becker, enquêtrice chez Global Witness

Les effets du stress thermique ont été visibles lors des Jeux olympiques de Tokyo de 2021, se manifestant par des vomissements et pertes de connaissance de certains athlètes ayant atteint la ligne d’arrivée. Le joueur de tennis Daniil Medvedev a même exprimé la crainte de mourir sur le court lors d’un match. Cet été, des athlètes venant de 206 pays et territoires se réuniront à Paris – la ville présentant le risque le plus élevé de mortalité liée à la chaleur en Europe. À mesure que les dangers augmentent, de plus en plus d’athlètes s’expriment sur le sujet. 

Rhydian Cowley est un sportif australien spécialisé en marche athlétique qui participera cette année à ses troisièmes Jeux olympiques. Il a souffert d’un coup de chaleur en 2023 à Budapest, malgré un entraînement rigoureux pour se préparer aux chaleurs extrêmes. Cowley a déclaré à Global Witness que « la chaleur extrême constituerait le risque le plus important à Paris... Elle pose également un risque réel pour la santé des spectateurs, en particulier ceux qui séjournent dans des logements non climatisés, en cas de nuits très chaudes – les vagues de chaleur sont d’ailleurs considérées comme des ‘tueurs silencieux’ des populations vulnérables. »

Suite à son coup de chaleur lors d’une course de 35 km à Budapest en 2023, Cowley a expliqué à Global Witness qu’il s’était trouvé « dans l’incapacité de terminer la course » et qu’il avait ensuite « dû rester un moment sous observation médicale ». Lorsque nous lui avons demandé si les entreprises d’énergies fossiles devaient être tenues pour responsables, Cowley a répondu que la combustion de carburants fossiles était « le principal vecteur du changement climatique. Les producteurs d’énergies fossiles le savent depuis des décennies, mais ont pourtant presque toujours tout fait pour ralentir la réduction progressive des énergies fossiles dans le fonctionnement de l’économie mondiale, s’efforçant au contraire de rendre les sociétés encore plus dépendantes de celles-ci. 

Cowley a appelé le Comité International Olympique à s’opposer au « sportwashing » : 


Les parrainages sportifs sont un moyen de plus utilisé par les producteurs de carburants fossiles pour laver leur réputation et s’acheter une licence social - Rhydian Cowley, un sportif Australien spécialisé en marche athlétique et l'Olympisme

« Les parrainages sportifs sont un moyen de plus utilisé par les producteurs de carburants fossiles pour laver leur réputation et s’acheter une licence sociale. Les organisations sportives feraient mieux de refuser délibérément ces parrainages, mais si les gouvernements et les organisations comme le CIO entendent prendre au sérieux leur responsabilité d’apporter une réponse à la crise climatique, ils devraient envisager d’interdire le parrainage des clubs, organisations et événements par les entreprises d’énergies fossiles. » 

Les entreprises d’énergies fossiles comme TotalEnergies se servent depuis longtemps d’événements tels que les Jeux olympiques pour faire du « sportwashing ». Mais cette tactique est désormais controversée. Le Comité organisateur des Jeux Olympiques de 2024 s’est expressément engagé à ce que les Jeux soient « sans énergie fossile ». Des athlètes expriment leur opposition à l’égard de cette industrie et de son sponsoring sportif. Et au-delà du sport, des voix s’élèvent pour exiger que ceux qui tirent profit du dérèglement climatique assument leurs responsabilités. Une série d’auditions de l’entreprise TotalEnergies au Sénat français s’est récemment conclue par un rapport. Ce rapport recommandait d’explorer les possibilités que les entreprises d’énergies fossiles contribuent à un fonds « pertes et dommages » visant à soutenir la réparation des préjudices causés par le changement climatique. À moins que TotalEnergies ne change de cap, ces préjudices continueront d’augmenter. 

Sarah Biermann Becker, enquêtrice chez Global Witness : « TotalEnergies met des vies en danger et rend les événements sportifs tels que ces Jeux olympiques plus dangereux pour les athlètes et les fans. Il est hypocrite de chercher à parrainer le sport tout en continuant à étendre la production d’énergies fossiles. Mais le vent commence à tourner. Les athlètes prennent leurs distances par rapport à une industrie qui détruit la planète et, avec elle, les choses que les gens aiment, comme le sport. Si TotalEnergies veut réellement soutenir le sport, la meilleure chose qu’elle puisse faire est de laisser les carburants fossiles enfouis sous terre et de payer pour réparer les dommages qu’elle a déjà causés. »

En réponse aux demandes de commentaires, TotalEnergies s’est dit en désaccord avec l’inclusion par Global Witness, dans cette analyse, des émissions de scope 3, à savoir celles résultant de la combustion du pétrole et du gaz qu’elle produit. Elle estime que cela représente un « biais fondamental » dans la répartition des responsabilités de ces émissions, qui relèvent également des autorités publiques, des autres entreprises et des clients. TotalEnergies affirme qu’une approche ne tenant compte que des émissions de scope 3 (émissions résultant de l’utilisation de leurs produits), plutôt que des émissions de scope 1 (émissions directes engendrées par les infrastructures de l’entreprise), « rendrait toutes les entreprises du monde collectivement responsables de plusieurs milliers de fois les gaz à effet de serre réellement émis sur la planète ».

TotalEnergies conteste également la méthodologie « coût de mortalité du carbone » utilisée dans cette analyse. L’entreprise ajoute s’être fixé des objectifs ambitieux de réduction des émissions à court terme pour 2025 et 2030, sur la voie de son ambition de zéro émission nette à l’horizon 2050, « conjointement avec la société ».

REMARQUES CONCERNANT NOTRE MÉTHODOLOGIE

  • Les données relatives aux prévisions de production de pétrole et de gaz proviennent de la base de données UCube, de l’agence de veille économique en énergie Rystad Energy. UCube est une base de données intégrée du marché mondial pétrolier et gazier en amont, établie champ par champ et couvrant la période allant de 1900 à 2100. Les données de Rystad sont largement citées en référence par les principales entreprises de pétrole et de gaz, les médias et des organismes internationaux tels que l’AIE. 
  • Le coût de mortalité du carbone dans le scénario d’émissions de référence développé par Daniel Bressler prédit 0,000226 décès entre 2020 et 2100 par tonne métrique de CO2 émise en 2020. Cela signifie qu’un million de tonnes métriques supplémentaires de dioxyde de carbone en 2020 causeront 226 décès additionnels liés à la chaleur au cours des 80 années à venir. Les scénarios d’émissions de référence examinent ce qui se passerait en l’absence d’intervention supplémentaire au-delà des politiques climatiques déjà en place. Le scénario d’émissions de référence utilisé par le modèle est un scénario d’émissions élevées, qui aboutit à un réchauffement de 4,1 °C d’ici 2100 par rapport aux températures préindustrielles. Un scénario d’émissions plus faibles, fondé sur l’hypothèse que le monde atteindra zéro émission nette en 2050, entraîne un coût de mortalité du carbone de 0,000107 décès entre 2020 et 2100, par tonne métrique de carbone émise en 2020.
  • Le modèle utilisé pour calculer le coût de mortalité du carbone est publié dans une revue à comité de lecture, Nature Communications. C’est l’un des indicateurs utilisés pour calculer le « coût social du carbone », qui évalue le coût monétaire des dommages infligés à la société résultant de l’émission d’une tonne métrique supplémentaire de CO2. Le coût social du carbone est une mesure largement utilisée, notamment par la United States Environmental Protection Agency. Cette méthodologie a également été employée par des organisations telles qu’Oxfam pour calculer la surmortalité due à la chaleur et liée aux émissions des 1 % les plus riches. 
  • Cette analyse de la surmortalité due à la chaleur est une estimation approximative. Le modèle est fondé sur l’effet qu’auraient eu les émissions supplémentaires si elles étaient toutes survenues en 2020. Nous utilisons une gamme plus large d’émissions pour la période allant de 2016 à mi-2024. 
  • La méthodologie des décès dus à la chaleur ne tient pas compte des autres causes de décès liés au changement climatique, telles que les maladies infectieuses, les conflits, l’approvisionnement en nourriture et les inondations.