Press release | 15 Novembre 2016

Le Congo cède les royalties du projet Glencore pouvant générer jusqu’à 880 millions de dollars à une société offshore appartenant à un ami du président congolais

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La firme de Dan Gertler confirme le marché mais conteste le montant au moment où Global Witness met sous presse

Global Witness a révélé aujourd’hui que la société minière publique de la République démocratique du Congo avait cédé, l’année dernière, les droits de redevances de son projet minier le plus lucratif, détenu et opéré par le géant du commerce des matières premières Glencore, une entreprise cotée à la Bourse de Londres, à une firme offshore appartenant à un ami du président. Le contrat ne précise pas ce que la société minière publique congolaise a reçu en compensation pour la cession de ces droits, si tant est que compensation il y ait eu, et ni la Gécamines ni la firme offshore concernée n’ont fourni d’explication complète.

Global Witness estime que les royalties pourraient générer jusqu’à 880 millions de dollars  – plus que les dépenses annuelles du Congo dans le domaine de la santé. Ces redevances doivent normalement bénéficier à la population. Cela s’avère particulièrement crucial au Congo, qui figure pratiquement au dernier rang de l’Indice de développement humain des Nations Unies et enregistre l’un des taux de PIB par habitant les plus bas au monde.

Aux termes de l’accord, datant de janvier 2015, les droits de redevances dues à la société minière publique Gécamines par le projet de mine de cuivre KCC de Glencore dans le sud-est du Congo ont été attribués à une société anonyme des Îles Caïmans appelée Africa Horizons Investment Limited. Africa Horizons fait partie du Groupe Fleurette de Dan Gertler. Gertler est un milliardaire israélien, magnat de l’exploitation minière et ami proche du Président congolais Joseph Kabila. Il était le partenaire au Congo du fonds d’investissement spéculatif américain Och-Ziff dans les transactions pour lesquelles le fonds a été inculpé par les autorités américaines de corruption à l’étranger, acceptant finalement de verser plus de 400 millions de dollars dans le cadre d’un accord. Gertler s’est trouvé lié à plusieurs autres transactions minières douteuses au Congo, dont certaines impliquaient Glencore.

« Il est troublant que la société minière publique Gécamines ait renoncé à des droits susceptibles de générer d’énormes flux de trésorerie qui auraient dû servir à bâtir l'avenir du Congo. Pire encore, elle les a cédés à cette société anonyme inconnue qui appartient à un individu ayant déjà trempé dans des contrats suspects », a déploré Pete Jones, chargé de campagne à Global Witness. « La société minière publique devrait chercher à gagner de l’argent pour le peuple congolais, mais ici elle cède ses droits à d’énormes redevances potentielles. »

« Le contrat que nous avons vu n’explique aucunement pourquoi la Gécamines a renoncé à ces royalties. Ni les représentants de la Gécamines ni ceux de Gertler ne nous ont communiqué si la Gécamines avait été payée en retour. Il est impératif que la Gécamines et Gertler expliquent ce qui se cache derrière cet accord. S’ils ne sont pas en mesure de démontrer qu’il s’agit d’un marché favorable au Congo, il conviendrait d’ouvrir une enquête afin de déterminer les raisons cachées de cet accord », a souligné Pete Jones.

Le membre du cabinet de relations publiques Powerscourt qui agit en tant que porte-parole du holding de Gertler, Fleurette, n’a fait aucun commentaire après avoir pourtant bénéficié d’un délai supplémentaire pour répondre aux questions de Global Witness.

Au moment de mettre sous presse, Global Witness a pris connaissance d’une déclaration de Fleurette via Powerscourt indiquant que l’accord entre Africa Horizons et la Gécamines prendrait fin au début 2019, et que ces informations étaient « accessibles au public ». Powerscourt n’a pas réagi aux demandes le priant de fournir ces informations ou d’expliquer où elles pouvaient se trouver. Fleurette a également fait valoir que le montant des redevances était « totalement erroné » et que le groupe avait enregistré une « perte importante » dans le cadre de ce marché.

Glencore a confirmé la transaction à Global Witness, affirmant que la Gécamines avait « vendu ses droits à certaines redevances » de sa filiale KCC à Africa Horizon. La firme a ajouté que KCC n’avait pas participé aux discussions de départ et avait par la suite « agi conformément aux instructions qu’elle avait reçues de la Gécamines » après avoir pris des « mesures raisonnables » pour vérifier la validité de la vente. Les représentants de la Gécamines n’ont pas répondu aux questions envoyées par courriel ni à l’appel téléphonique de Global Witness.

Selon les statistiques publiées par l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), KCC était, au moment de la conclusion du marché, la troisième plus grande mine de cuivre du Congo par volume de production et sa principale source de recettes fiscales. L’ITIE a signalé que KCC avait versé à la Gécamines des redevances s’élevant au total à plus de 63 millions de dollars en 2014, mais qu’aujourd’hui, ces paiements iront à Africa Horizons. Le document vu par Global Witness semble indiquer que des royalties ont été versées par KCC à Africa Horizons à partir du 9 juillet 2014 en vertu d’un accord séparé antérieur. Les représentants de Gertler n’ont pas précisé le montant des royalties transféré à ce jour conformément à l’accord.

Le Congo est en proie à une crise politique qui ne cesse de s’aggraver. En vertu de la constitution, Kabila est obligé de se retirer au terme de son deuxième mandat en décembre, mais les élections ont été reportées et l’opposition accuse Kabila de s’accrocher au pouvoir. Selon Human Rights Watch, les émeutes contre le gouvernement Kabila ont débouché sur la mort d’au moins 80 civils lors de deux grandes manifestations organisées en janvier 2015 et septembre 2016. Global Witness a averti en mai que les ventes clandestines de droits sur les ressources naturelles risquaient d’être utilisées pour financer une campagne politique.

Mise à jour: Global Witness a publié, le 17 novembre 2016, une réponse aux déclarations du Groupe Fleurette.

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Contacts

Infos pour les journalistes:

1.       Le document vu par Global Witness est un accord tripartite entre la Gécamines, Africa Horizons Investment Limited et Kamoto Copper Company (KCC), signé à la date du 22 janvier 2015. Le signataire mandaté par Africa Horizons dans l’accord vu par Global Witness est Pieter Deboutte, le directeur des opérations au Congo du holding de Gertler, Fleurette. Les coordonnées d’Africa Horizons sont celles du cabinet d’avocats Hassans à Gibraltar – le cabinet auquel a recouru Gertler dans bon nombre de ses transactions antérieures.

2.       Le signataire de l’accord représentant KCC et son holding est un employé de Glencore. Glencore détient Katanga Mining Limited, une firme cotée à la bourse de Toronto et propriétaire de 75 pour cent de KCC.

3.       La déclaration complète de Glencore est la suivante : « La Gécamines a conclu un marché avec un tiers, Africa Horizons Investment Limited (AHIL), aux termes duquel elle a vendu à AHIL ses droits à certaines redevances payées par KCC. En vertu de cette transaction, la Gécamines a tout d’abord envoyé un ordre de paiement à KCC, l’enjoignant de verser ces redevances à AHIL au lieu de la Gécamines. Par la suite, KCC a conclu un accord avec la Gécamines reflétant cette décision. KCC a agi conformément aux instructions reçues de la Gécamines et n’a pas participé aux discussions entre AHIL et la Gécamines. Par contre, la firme a pris, conformément à ses règles de procédure, les mesures qui s’imposaient pour s’assurer que la vente était autorisée par la Gécamines et que des raisons précises justifiaient ladite vente ».

4.        Au moment de mettre sous presse, Global Witness a pris connaissance d’une déclaration du Groupe Fleurette de Dan Gertler qui affirmait notamment :

« Le Groupe Fleurette rejette le rapport inexact et fallacieux de Global Witness sur KCC :

-          La déclaration de Global Witness laisse entendre que les redevances versées par KCC à Fleurette s’élevaient à une valeur de 880 millions de dollars. Cela est totalement faux et reflète une piètre compréhension des principes de base commerciaux et d’évaluation.

-          Des institutions financières internationales indépendantes ont conseillé les deux parties, et le prix de la transaction a été établi conformément aux estimations fournies aux parties.

-          Alors qu’elles étaient accessibles au public, Global Witness a omis des informations qui ont une énorme incidence sur l’estimation de la valeur des redevances dues par KCC, d’autant plus que les droits d’AHIL à des redevances disparaîtront au début de l’année 2019.

-          La transaction a en définitive eu pour résultat de permettre à la Gécamines de préserver de la valeur pour l’économie de la RDC et elle a occasionné une perte considérable pour Fleurette due à la chute ultérieure des prix des matières premières et à la suspension des opérations de KCC. Fleurette reconnaît qu’il s’agit d’un risque inhérent au secteur minier. »

5.       KCC a annoncé en septembre 2015 que ses opérations seraient suspendues en attendant que le l’équipement utilisé à la mine soit modernisé pour améliorer l’efficacité et la productivité. KCC espère que l’effort de modernisation fera passer la production annuelle à 300 000 tonnes de cuivre et de cobalt ; la production la plus élevée atteinte à ce jour était de 158 000 tonnes en 2014. Une augmentation de la productivité devrait normalement conduire à une hausse du chiffre d’affaires et, par voie de conséquence, du montant des redevances versées.

6.       Global Witness a déjà fait état  de la façon dont Gertler avait utilisé des sociétés offshore pour obtenir des actifs miniers et pétroliers à des prix bradés avant de les utiliser pour conclure ensuite des marchés lucratifs avec de grandes sociétés minières, en particulier la firme kazakhe ENRC et Glencore. Le Congo a perdu 1,5 milliard de dollars rien que dans le cadre de six marchés de ce genre. Une partie des revenus de l’un de ces six marchés a été transférée dans un fonds électoral du ministère des Finances en amont du scrutin de 2011, lequel a été remporté par le gouvernement Kabila sur fond d’irrégularités et d’accusations de fraude.

7.       Le calcul de la valeur potentielle des redevances dues par KCC effectué par Global Witness est basé sur le tout dernier rapport technique disponible relatif à KCC posté sur le site web de la bourse de Toronto, où est coté le holding de KCC, Katanga Mining Limited. Il indique que les versements potentiels de redevances projetés pour la vie de la mine s’élèvent à un total de 1,596 milliard de dollars. Les royalties sont payées à l’État à un taux de 2,0 pour cent et à la Gécamines à un taux de 2,5 pour cent, la part de la Gécamines dans les redevances totales équivalant environ à 55,6 pour cent de 1,596 milliard $, soit 887 millions $.


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