Document d'information / 17 Août 2011

Section 1502 de la loi Dodd-Frank sur les minerais du conflit

Cela fait plus d’une décennie que le commerce de minerais du conflit exacerbe les atteintes aux droits de l’homme et favorise l’insécurité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). La loi Dodd-Frank de réforme de Wall Street et de protection du consommateur (Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act), adoptée par le Congrès américain en juillet 2010, comprend une disposition (la section 1502) qui a pour but d’empêcher l’armée nationale et les groupes rebelles en RDC de se servir en toute illégalité des bénéfices qu’ils dégagent du commerce de minerais pour financer leurs combats. La section 1502 constitue une obligation de divulgation au titre de laquelle les entreprises se doivent d’établir si leurs produits contiennent des minerais du conflit – en soumettant leur chaîne d’approvisionnement à une diligence raisonnable – et d’en rendre compte à la Securities and Exchange Commission (SEC).

Cette législation pourrait avoir une incidence significative sur le terrain en RDC ; cependant, d’importantes campagnes ont été menées pour faire de l’alarmisme et communiquer de fausses informations sur les exigences qui lui sont associées ainsi que sur son impact probable. Le présent document a pour objectif d’apporter des éclaircissements sur certaines des conceptions erronées les plus communes.

1. La section 1502 de la loi Dodd-Frank n’impose pas d’embargo de facto sur les minerais provenant de RDC.

La section 1502 de la loi Dodd-Frank constitue uniquement une obligation de divulgation qui n’interdit nullement l’utilisation de minerais du conflit et n’impose aucune pénalité. Si les entreprises s’aperçoivent qu’elles ont acheté des minerais du conflit provenant de RDC ou de pays voisins, elles peuvent continuer de le faire sans se placer dans l’illégalité ; elles sont cependant tenues de le signaler à la SEC.

Les détracteurs de la loi affirment que quels que soient ses objectifs théoriques, elle mettra, dans la pratique, un terme au commerce de minerais exploités dans l’est du Congo. Il est certes vrai que les exportations de minerais de la région ont considérablement diminué ces derniers mois, ce qui a contraint de nombreux creuseurs artisanaux à rechercher un autre moyen de gagner leur vie. Ce ralentissement est imputable à la suspension de six mois de toute activité minière et commerciale imposée par le gouvernement congolais, ainsi qu’à une interprétation bien trop restrictive de la loi Dodd-Frank par les entreprises actives dans ce secteur. Les répercussions en sont lourdes pour les creuseurs et leurs familles.

L’idée selon laquelle le statu quo actuel signale la fermeture définitive de cette activité commerciale est toutefois fausse. En effet, malgré les propos alarmistes annonçant la fin du secteur des minerais dans l’est du Congo, de grandes entreprises internationales ont, ces quelques dernières semaines, dévoilé des projets d’investissement et d’approvisionnement dans des mines situées dans les régions congolaises couvertes par la loi.

Au milieu des affirmations de certains observateurs internationaux pour qui cette loi est catastrophique pour le Congo, il est intéressant de constater que le gouvernement congolais a, lui, fait part publiquement de son soutien envers la loi Dodd-Frank dans un courrier à la SEC et que cette initiative est également appuyée par des fonctionnaires du secteur minier dans les régions de l’est du pays les plus directement affectées. Comme l’a déclaré le gouverneur de la province du Nord-Kivu aux chercheurs de Global Witness en avril de cette année, la guerre perdure depuis 1996, alors pourquoi le gouvernement américain n’a-t-il pas adopté cette loi il y a dix ans ?

2. La mise en œuvre de la loi ne devrait pas être retardée ; les entreprises ont largement eu le temps de s’y préparer.

La problématique des minerais du conflit est largement documentée depuis une décennie et les entreprises ont depuis longtemps conscience de l’impact potentiellement nocif de leurs achats. Bien qu’elles aient eu de nombreuses années pour adopter les mesures de contrôle requises, la plupart des entreprises n’ont même pas cherché à faire semblant de modifier leurs pratiques tant que la menace d’une loi américaine il y a deux ans ne s’était pas matérialisée. La triste réalité est que la majorité des entreprises n’assumeront leurs responsabilités que lorsque la loi les y contraindra. Un retard de mise en œuvre de celle-ci procure aux groupes armés responsables de meurtres et de viols au Congo des chances supplémentaires de se financer grâce au commerce de minerais.

Le commerce des minerais du conflit contribue à la situation humanitaire désastreuse qui règne dans l’est du Congo. Les atteintes aux droits de l’homme, y compris des actes de violence sexiste comme le viol et l’esclavage sexuel, y ont pris des proportions catastrophiques. Ainsi, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme en RDC a signalé que des groupes armés ont violé plus de 300 civils lors d’un incident qui s’est déroulé en août 2010 dans trois villages à proximité de sites miniers du Nord-Kivu. L’enquête de l’ONU a mis en évidence l’existence d’un lien direct entre la violence et la concurrence autour de l’accès aux minerais. En juin de cette année, plusieurs personnes ont été tuées dans la même région lors de combats opposant deux groupes armés qui se disputaient un site minier lucratif.

Il est indubitable que, la première année de la mise en œuvre de la loi, de nombreuses entreprises ne seront peut-être pas en mesure de déclarer si oui on non elles s’approvisionnent en RDC ou dans des pays voisins. Cependant, en se conformant pleinement à la loi, les entreprises ont la possibilité de jeter des bases utiles pour les années à venir et d’améliorer le processus de diligence raisonnable auquel elles soumettent leur chaîne d’approvisionnement ainsi que les données qu’elles peuvent générer. Il convient ici de rappeler que les entreprises qui ne peuvent établir si les minerais qu’elles utilisent proviennent ou non de RDC ou de pays voisins ne s’exposent à aucune pénalité. Les entreprises dans cette situation doivent remettre à la SEC un « rapport minerais du conflit » (« Conflict Minerals Report »).

Le retard de mise en œuvre de la loi pourrait également dissuader voire fragiliser les entreprises qui ont lancé des efforts pour améliorer les contrôles auxquels elles soumettent leur chaîne d’approvisionnement, par exemple via le programme Conflict-Free Smelter mis en place par l’industrie. Cette préoccupation est exprimée dans une lettre adressée en juin de cette année à la SEC par une grande fonderie de tantale internationale : « Nous demandons instamment à la SEC de publier au plus tôt la réglementation finale s’appliquant à la section 1502 afin que l’industrie sache ce en quoi consiste le processus de mise en œuvre et, par conséquent, que celles d’entre elles qui s’approvisionnent à l’heure actuelle en minerais du conflit ne bénéficient pas d’un avantage concurrentiel. »

3. La section 1502 de la loi Dodd-Frank cible autant les unités de l’armée congolaise responsables d’exactions que les milices.

Un article publié récemment dans le New York Times affirmait que la loi n’était plus pertinente étant donné que les milices ou les rebelles qu’elle visait avaient désormais rejoint les rangs de l’armée du gouvernement. Cette affirmation est complètement infondée. La section 1502 de la loi Dodd-Frank vise tout autant les unités de l’armée congolaise que les milices pour la bonne raison que l’armée se compose en grande partie d’anciens rebelles, qu’elle est le principal acteur du commerce des minerais du conflit et qu’elle commet régulièrement des délits effroyables à l’encontre de la population civile. En outre, des groupes de milices continuent de contrôler les minerais dans certaines régions de l’est du Congo et d’en tirer profit. Les rebelles tristement célèbres des FDLR dégagent ainsi des bénéfices significatifs du commerce de l’or et, récemment, des affrontements violents entre deux autres groupes armés du territoire de Walikale, au Nord-Kivu, ont été en partie motivés par la concurrence autour d’un gisement de minerai d’étain découvert depuis peu.

4. Les entreprises de fabrication sont capables d’identifier quelle fonderie a produit les métaux qu’elles utilisent.

La section 1502 exige des entreprises qu’elles prennent des mesures pour établir si les minerais présents dans leurs produits proviennent de RDC ou de pays voisins. Pour connaître l’origine des minerais qu’elles utilisent avec un tant soit peu de certitude, les entreprises doivent tout d’abord connaître l’identité de leurs usines de transformation ou de leurs fonderies. Global Witness recommande à la SEC que toutes les entreprises soient tenues : 1) d’établir et de publier l’identité de leurs fonderies ; 2) de vérifier les documents de la chaîne de contrôle de ces fonderies ; et 3) d’être à l’affût des « drapeaux rouges » susceptibles d’indiquer que les minerais proviennent de RDC ou de pays voisins.

Certaines entreprises ont fait savoir que ce processus était trop lourd et trop coûteux. Cependant, les chercheurs de Global Witness sur le terrain sont parvenus à suivre les chaînes d’approvisionnement jusqu’en RDC et dans les pays voisins, avec des ressources et des fonds bien moins conséquents que ceux dont disposent les multinationales. Pour instaurer de tels systèmes de suivi et de reporting, les entreprises pourraient mettre leurs ressources en commun et œuvrer ensemble afin de se conformer à la législation.

L’inadéquation des infrastructures et des institutions en RDC rend d’autant plus importante la mise en place d’obligations plus strictes, et non pas plus laxistes, pour gérer la question du pays d’origine. Ces systèmes étant en cours d’élaboration, des efforts plus conséquents devront être concédés dès le départ pour veiller à l’exactitude et à la fiabilité des informations divulguées.

Les fonderies qui traitent l’étain, le tantale et le tungstène à travers le monde sont en réalité très peu nombreuses. D’après le Conseil américain pour l’industrie des technologies de l’information (Information Technology Industry Council, ITIC), il existe moins de vingt grandes usines de transformation ; par ailleurs, les travaux de recherche de Global Witness indiquent qu’il existe moins de vingt grandes fonderies d’étain et moins de quinze grandes fonderies de tungstène.

En février, Apple a publié son « Rapport sur la responsabilité des fournisseurs 2011 » dans lequel l’entreprise indique dans les détails la manière dont elle s’y est prise pour suivre sa chaîne d’approvisionnement, tout d’abord jusqu’aux fournisseurs qui fabriquent les sous-composants de ses produits, puis jusqu’aux fonderies chargées du traitement des minerais. Intel déclare avoir déjà soumis « onze fonderies de tantale de six pays différents à des examens sur place » dans le cadre du programme Conflict-Free Smelter.

5. La SEC devrait instaurer une norme commune et mondialement reconnue de diligence raisonnable des chaînes d’approvisionnement qui s’applique aux quatre minerais couverts par la loi.

Bien que les chaînes d’approvisionnement ne soient pas toutes identiques, elles ne sont pas suffisamment différentes pour justifier que l’on impose diverses exigences en matière de diligence raisonnable. Dans son rapport de 2010 intitulé Ne pas nuire, Global Witness retrace l’itinéraire emprunté par les minerais depuis la mine jusqu’au fabricant pour démontrer que la chaîne d’approvisionnement n’est pas aussi complexe que certaines grandes entreprises veulent le faire entendre.

L’instauration d’une norme de diligence raisonnable claire est nécessaire pour que les rapports fournis par les entreprises à la SEC puissent contenir des informations précises, cohérentes et fiables. Si les auteurs de ces rapports sont libres de choisir entre différentes mesures, certains pourraient privilégier celles auxquelles des exigences moins strictes sont associées. Global Witness recommande que la SEC, dans ses règles finales, déclare sans équivoque que les exigences de diligence raisonnable s’appliquant à la section 1502 de la loi Dodd-Frank sont exactement les mêmes que celles qui ont déjà été adoptées par l’OCDE et le Conseil de sécurité de l’ONU. En juillet, l’OCDE a adressé un courrier à la SEC, signé par près de 200 entreprises, gouvernements et ONU congolaises et internationales, qui émettait la même recommandation.

Les normes de diligence raisonnable adoptées par l’OCDE et le Conseil de sécurité de l’ONU revêtent la forme d’un cadre en cinq points comprenant des évaluations des risques sur le terrain et des audits. Le Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence a été élaboré par un groupe de travail tripartite regroupant des entreprises, des gouvernements et des ONG. Pour obtenir de plus amples renseignements sur ces normes, veuillez consulter :

http://www.oecd.org/document/36/0,3746,en_2649_34889_44307940_1_1_1_1,00.html.